Plongée totale dans l'obscurité conjurée par un mec qui sait vraiment ce qu'est le mal pour l'avoir fait plusieurs fois (*), dès les percussions martiales de l'intro on commence à se dire qu'il va se passer quelque chose d'important et de terrible, de l'atrocité indicible par paquets. Et puis déboule le riff de la première vraie piste et on se retrouve prisonnier du même bend pendant trois minutes congelé six pieds sous terre et paralysé par l'angoisse suintante et suffocante. Que s'est-il passé ?

Noire de chez noire, la musique est tour à tour poisseuse et fantomatique, indistincte silhouette rôdant à l'ombre de la lune ou dans des souterrains poussiéreux. Le contenu polymorphe d'un album qui ne facilite pas la tâche de votre étiqueteur préféré ne se prête pas vraiment à l'appellation d'Atmoblack (et encore moins de DSBM), mais trouvera t-on mieux ? Dans le creuset de Wrest se mélangent le Black, le Doom, le Post Metal, le Dark Ambient, le Neofolk et le Post Punk comme les ingrédients de l'alchimiste ou du sorcier dans leurs laboratoires secrets.

En bon élève j'ai bien labouré mes champs lexicaux et bien listé mes genres et nous en sommes seulement au troisième paragraphe. Insister sur noir, noir, angoisse, ténèbres, lugubre, et encore le noir ne saurait faire justice à un album véritablement hanté comme peu d'albums le sont au-delà du simple "wouh oh là là le mal, Satan, l'angoisse wooouh". Je dois pourtant apporter un peu de nuance à mon propos. Comme les occasionnels rayons de lumière pouvant s'échapper d'un "The Work Which Transforms God" ou d'un "Flesh Cathedral" dont on pourra comparer l'ambiance blafarde sans qu'il y ait un grand rapport musical, LURKER OF CHALICE ne séduit pas uniquement par la terreur et les ténèbres. La seconde moitié de "Spectre As...", les apparitions de chœurs immenses et perdus, la conclusion de "Minions", les leads de "This Blood..." constituent autant de moments ensorceleurs et troublants, comme des torches le long du tunnel.

J'ai bien appuyé sur le fantomatique et je ne compte pas cesser, "Lurker Of Chalice" c'est un ancien et terrible secret, c'est un cimetière en ruines, c'est une cohorte spectrale plongée dans sa réverb et ses nappes opaques : les fantômes se déplacent d'accord en accord, bondissent sur les éclats de crash et de ride, rampent le long des lignes de basse. Les riffs s'effacent en sillages brumeux, le chant est lointain et morne, les pistes s'étirent avec lassitude. Toute cette grisaille ne se tient le long d'une heure par que par une maîtrise subtile de la texture, de la composition et de la répétition, maîtrise rarement égalée de ce côté si du Black Metal.

Imparfait, trop long, trop morne, trop lugubre, trop grumeleux, trop unique, il s'agit pourtant d'un album dont la force évocatrice laissera des traces en vous longtemps après que vous ayez oublié jusqu'au dernier riff ou au dernier accord. "Lurker Of Chalice" ne vous laissera pas vous échapper si facilement, tapi comme un spectre dans l'entre deux des souvenirs, caché en vous comme la cicatrice effacée d'une vieille plaie, une présence imperceptible mais persistante. Une expérience que je ne peux que conseiller, autant par charité que par malveillance, aux spéléologues et scaphandriers de la musique cherchant à s'enfoncer toujours plus loin au fond des grottes et des abysses. Celle-ci est dangereuse et profonde. Soyez prudents.

_ _ _

(*) Manière polie de dire que c'est un gros connard, c'est la vie, soyez prévenus !