L’après "Black Rose", c’est une gueule de bois pour Phil Lynott. Gary Moore s’en est allé en pleine tournée, laissant le groupe aux abois, obligé de se retrouver à nouveau, de se reconstruire encore une fois. Snowy White, alors quasiment inconnu du public jusque-là, est embauché pour palier au départ de l’ombrageux guitariste de Belfast ; un claviériste, Darren Wharton, apparaît en guest et la production de "Chinatown" sera assurée par le groupe ainsi que Kit Woolven (WILD HORSES). Et on arrive à une nouvelle décennie, qui va apporter de grands bouleversements sur la scène Hard Rock et Heavy Metal. Bref, tous les ingrédients sont là pour viser à côté.

Il faut dire, "Chinatown" a mauvaise presse. Et il faut en convenir, c’est un peu normal. Phil Lynott nous avait habitués à une musique riche, variée, très émotionnelle, avec de nombreux passages qui tendent vers le Blues, la Soul. Ce que l’on ne retrouve pas sur ce disque. La comparaison, logique, avec "Black Rose" fait d’ailleurs assez mal. L’album précédent jouait sur l’élégance, avec des nuances Folk qui donnaient une forte identité à l’ensemble et beaucoup de variété dans le propos. Ici, il n’en est rien. Nous sommes principalement sur une ligne de conduite typiquement Hard Rock, avec un aspect très monolithique, coupé par quelques compositions qui marquent une différence, à l’instar de "Sugar Blues" ou de "Didn’t I". Et la voix de Phil Lynott commence à porter la marque de ses excès en tous genres…

Donc oui, sur le papier, rien de bien fabuleux sur ce "Chinatown". Alors il faut écouter le disque. Une seule écoute permet de dire que oui, s’il est moins varié que les opus précédents, il y a de très bons morceaux dessus et d’autres qui vont se montrer étonnants. "We Will Be Strong" et le title-track, c’est déjà du tout bon. "Killer On The Loose" ? Le classique discret mais très efficace. Quant à "Genocide", c’est une perle dans le genre, Heavy, intense, que l’on rapprocherait de "Massacre" pour la thématique. Lynott est toujours habité au niveau des paroles, il sait encore placer ses idées et nous troubler juste ce qu’il faut ("Didn’t I") et il a encore suffisamment de ressources pour composer des titres trompeurs, comme "Hey You", qui flirte carrément avec le Heavy Metal à certains moments et qui voit Brian Downey livrer sa meilleure prestation sur le disque.

Il est vrai que le batteur n’aura jamais eu une ampleur aussi faible sur un disque de THIN LIZZY. La production n’a pas été à son avantage et elle semble lointaine, sous-exploitée. Un peu comme le talent de chacun en quelque sorte, même si l’affirmation peut paraître bien sévère. "Chinatown", c’est un disque un peu facile pour du THIN LIZZY, qui paraît bien fade en comparaison des précédents, mais en même temps, le groupe s’était montré d’une inspiration hors du commun. Solide, sûr de lui, avec une réussite insolente en termes de qualité. Mais "Chinatown" n’est pas un mauvais album pour autant, il est juste moins conséquent, il est un peu plus faible, moins inspiré. En fait, il faudrait le considérer comme un brouillon. Le brouillon de "Renegade" qui lui va se montrer sacrément brillant. THIN LIZZY, quel groupe quand même ! Même quand ils ne sont pas en formes les musiciens sortent de bons disques !