On mentionne souvent le fait que le grand Vindsval avait quinze ou seize ans lorsqu'il a composé "Ultima Thulée", et pour cause, c'est une prouesse. Mais comment occulter le fait que le premier "Memoria Vetusta" est paru une année après ? Et surtout, que l'évolution est indiscutable. Dans "Ultima Thulée", l'on percevait quelque peu la jeunesse du sieur, le riffing parfois primaire. Dans "Memoria Vetusta I: Fathers Of The Icy Age", Vindsval dévoile ce qui sera un leitmotiv dans le parcours de BLUT AUS NORD : son génie absolu de composition.

L'esprit glacial aperçu dans le premier album est de nouveau présent ici, production abrasive oblige, mais tout est ici démesuré. L'ambition est sans nul doute le coeur triomphant de cet album fantastique, qui montre davantage de capacités dans la structure (voici un Black bien plus Prog) et de talents dans le riffing, en particulier la lead magnifique, qui transperce des riffs-soutien toujours aussi impeccables pour poser une ambiance. À ce titre, l'entrée "Slaughterday (The Heathen Blood Of Ours)" ne fait pas de cadeau ; le premier riff est une tuerie absolue, et tout le final, avec ses choeurs habités, montre les qualités ensorcelantes que BLUT AUS NORD ne cessera jamais de porter avec force.

Album ensorcelé oui, plongé comme "Ultima Thulée" dans la fièvre des mythes nordiques, avec ses hyperboréens fantasmés et autre Thulé immortalisée par l'essai de Jean Mabire, placé sous le signe du paneuropéisme. Ainsi, en se plongeant dans le passé discographique de BLUT AUS NORD, on constate aisément que Vindsval est un énième blackeux fasciné par l'âme nordique, une forme de néo-païen peut-être, mais bien moins crétin que ses pairs. C'est ce néo-paganisme tendance Dominique Venner qui explique la beauté de ce "Memoria Vetusta I", ses lignes superbes, contemplatives surplombées de choeurs simples mais beaux, parfois brisés par des riffs martiaux ("Sons Of Wisdom, Master Of Elements"). Bien avant que "Memoria Vetusta II: Dialogue With The Stars" ne vienne bouleverser le Black Metal de sa maîtrise insolente, le premier chapitre contenait en germe le génie incontestable de Vindsval, certainement l'un des plus grands compositeurs de notre époque.

Il y a bien quelques passages de trop, comme le plus dispensable "On the Path Of Wolf... Towards Dwarfhill", ou "Day Of Revenge (The Impure Blood Of Theirs)" mais rien qui ne vienne entâcher un album d'une facture exceptionnelle, et qui respire, chose rare, qui vit, chose folle, qui possède une âme, chose inespérée ! Le bond en avant après "Ultima Thulée" est incroyable. Les lignes de basse, fabuleuses (le final "Fathers Of The Icy Age") enrichissent une narration sans temps mort, où le drame se mêle à l'épique en permanence ("The Territory Of Witches / Guardians Of The Dark Lake" et son riff central à pleurer). On croirait voir une oeuvre picturale s'agiter sous nos yeux, le chevalier de Vastnetsov prendre vie et chevaucher dans le lointain, les divinités païennes de Ludwig Fahrenkrog apparaître sous nos yeux ébahis. "Memoria Vetusta I: Fathers Of The Icy Age" est fièvreux, solaire, triomphal, à bien des égards, PAÏEN. Vindsval lui-même semble emporté par la démesure de son riffing. Une mélodie succède à l'autre, toujours plus magique, l'horizon se laisse emporter par autant de majesté, l'histoire redémarre quand on la pensait achevée, le récit s'emballe, les sens sont autant sollicités que l'âme, et l'on se prend à rêver d'un temps que nous n'avons pas connu, où les corps sans gêne aimaient à se tenir droit face au soleil, dans l'attente d'une fin par les armes, dans l'honneur et la gloire.