Pour l’enregistrement de leur second album, les membres de THIN LIZZY ont migré en Angleterre, lieu de brassage ethnique et culturel, ce qui a bien sûr eu une incidence sur la musique du groupe, qui s’enrichit considérablement. Ou plutôt, qui accentue certains points déjà mis en place sur l’opus éponyme avec plus ou moins de réussite. On y découvre un côté Folk mieux exploité, en touches mesurées mais indéniables, que l’on retrouvera d’ailleurs tout le long de la carrière du groupe, quel que soit son line-up. L’intelligence ici consistant à les mâtiner, à les intégrer dans le format souvent Rock des chansons.

"Shades Of A Blue Orphanage" se veut moins direct que ne l’était "Thin Lizzy", même si "The Rise And Dear Demise Of The Funky Nomadic Tribes" (putain, ce titre !) se veut un peu trompeur, avec son intro et son outro assurés par un Brian Downey monstrueux de puissance de frappe, cintrant un Hard Rock efficace qui aurait pu devenir un classique du groupe si Eric Bell n’avait pas quitté la formation un an plus tard. Ambitieux avec ses sept minutes, il représente l’ouverture idéale.

Par la suite, nous naviguons sur des mers de son plus calmes, alternant les ballades ("Sarah", qui est ici dédicacée à la grand-mère de Phil Lynott qui aura eu une présence cruciale dans les jeunes années du bassiste, tandis que la seconde version parlera de sa fille), des surprises Rock’N’Roll à l’image de "I Don’t Want To Forget How To Jive" ainsi que des pistes typiquement plus Hard Rock comme "Baby Face", redoutable d’efficacité et qui tire vers ce que sera THIN LIZZY quelques années plus tard (le morceau ne ferait pas tache sur un "Jailbreak" par exemple).

La voix de Lynott se fait plus éraillée ici, il explore moins sa facette Soul, mais il reste impérial derrière le micro malgré tout parce qu’il dégage un truc. C’était déjà perceptible sur le premier album, cela se confirme ici et cela se verra comme le nez au milieu de la figure (sauf pour Voldemort, mais bon, hein) par la suite : le métis va véhiculer beaucoup de sentiments, qui seront souvent très personnels, faisant de lui une personnalité fragile, à fleur de peau, qui se détruira méthodiquement assez rapidement. Ici, sur les ballades, c’est flagrant, il chante avec le cœur, pas avec les tripes et cela fait toute la différence. Le title-track est remarquable à ce niveau.

Malheureusement, l’album sera un second flop et la situation financière n’étant plus tenable en Angleterre, le groupe rentrera en Irlande, afin de se donner une dernière chance de percer, en durcissant quelque peu le ton. Mais pour le moment le succès se refuse à cette formation qui, sans se montrer vraiment talentueuse, avait déjà quelque chose en plus que certaines autres : une âme. "Shades Of A Blue Orphanage" n’est pas parfait, mais il n’est pas à négliger pour autant.