Ah, le garage de Thierry... Qui est Thierry ? Un mien camarade avec qui je m’initiais, il y a de cela plusieurs années, à la joie des répétitions improvisées, à l’excitation du brouhaha électrique, au plaisir de se prendre pour des bébés METALLICA et SEPULTURA en reprenant "For Whom The Bell Tolls" et "Refuse/Resist"... Ah, folle jeunesse bercée de mille espoirs ! On était tout fous, le monde semblait n’attendre que nous, et nos premières répétitions se devaient donc d’être enregistrées, car la postérité ne manquerait pas de nous réclamer moultes traces audibles de nos débuts, nous qui nous apprêtions à révolutionner le monde du Metal en mettant sur pied l’une de ces formations dont nul quidam ne pourrait bientôt ignorer le nom... et encore moins l’empreinte dans laquelle des milliers d’autres compos ne tarderaient guère à loger leurs propres pas, avec l’espoir d’adopter notre démarche altière, mais en vain !

Quoi ? Pourquoi riez-vous ? Vous me prenez pour un doux crétin ? Un présomptueux incapable de discernement ? Un individu fantasque, tout juste bon à être exhibé en soirée comme les cons qui permettent à des cinéastes matois de se faire du pognon ? C’est ça, hein ? Et bien alors, vous qui osez vous gausser des rêves modelés avec les petites mains d’une foi incommensurable, vous grands artisans de la raillerie bête et méchante, calés que vous êtes dans votre fauteuil moelleux, le clavier de votre ordinateur résonnant d’un cliquetis de touche entrant en harmonie avec les éclats de vos rires... oui, vous ! je n’ai qu’un conseil à vous donner : Ecoutez « Wrath Of The Tyrant » !

Vous ne comprenez pas ? Ah, on fait moins les malins, maintenant, hein ? M’en vais vous expliquer, moi ! Allez, enfournez le disque et appuyez sur Play... vous entendez ? Vous entendez ce Black primitif, cette mise en place bancale, ce son de garage sentant le renfermé ? Vous vous tordez de rires à l’écoute de cette voie de crapeau survolté gravement atteint du syndrôme de « Donald Duck » ? Ces hurlements désopilants vous font réviser en quelques secondes toute votre gamme de grimaces moqueuses ? Ces riffs simplistes et cet esprit « Total Underground » vous font sourire ? Ce son cacophonique épouvantable et un esprit sataniste poussif achèvent de vous convaincre du potentiel comique de la chose ? La pochette touchante de naïveté qui enveloppe le tout suscite quelques ultimes réflexions, tandis que résonne sèchement le « clap » d’une poubelle se refermant sur l’objet en question ? C’est bien dommage...

C’est dommage ? Ben oui... car vous venez de faire ce que d’aucuns ont fait, il y a de cela plusieurs années. Tous sauf un... celui-ci sut percevoir - sous l’épaisse couche de maladresse et d’immaturité patente de cette chose quasi oiseuse - un petit truc a priori indécelable, subtil, indicible. Ce quelqu’un fit confiance à ces ados norvégiens peinturlurés et mal dégrossis. Ce quelqu’un donna sa chance... à celui qui resterait peut-être à jamais, dans l’histoire, comme le maître indétrônable du Black Metal... car « Wrath Of The Tyrant » n’est autre que la première démo d’EMPEROR. Et lorsque vous l’aurez entendu, vous retournerez au début de ces lignes, et vous réfléchirez à deux fois à mes quelques mots... Car EMPEROR a connu, lui aussi, "le garage à Thierry". Mais lui avait le génie, et pas seulement l’envie et la rêverie. Et tant qu’il y aura des "garage à Thierry", et tant qu’il y aura des gosses pendus à leurs rêves mégalomaniaques, il y aura des ambitions démesurées, des sourires amusés, des enregistrements fangeux a priori sans intérêt ni valeur... et peut-être de futurs empereurs.