Matthias Eklundh ne sort que peu de ses bois, et son statut d’homme des cavernes lui plaît. Si bien qu’il fait désormais des infidélité à son partenaire depuis 1996, Caparison, qui lui avait quand même construit le seul modèle de guitare à cordes surnuméraire de son histoire avec la Apple Horn 8. En recherche de perfection harmonique, le pédagogue fantasque suédois défend l’utilisation des frettes dites true temperament et a désormais l’occasion de réaliser des instruments sur mesure à une heure de chez lui avec Freak Guitar Lab.

Groupe de niche, trio expérimental depuis toujours, FREAK KITCHEN n’a pas d’ambitions démesurées autres que de produire une musique qui lui plaît, en s’amusant avec les découvertes de son géniteur, en perpétuelle recherche de nouveaux horizons, ce qui l’a amené à mettre un gros accent sur la musique indienne sur les deux derniers efforts de son projet. Je ne dirais pas que c’en est terminé avec "Everyone Gets Bloody" mais c’est pleinement digéré, et cela sert essentiellement à livrer des canevas rythmiques subtils et complexes. Mais la force de FREAK KITCHEN c’est de toujours rendre ça digeste avec des mélodies catchy et des textes aussi désopilants que sérieux. Juste un œil sur celui de "The Expert" ou encore "Pissing Contest" (oui oui c’est du littéral).

Si l’album précédent avait cherché à nous éprouver et nous amener à comprendre où le groupe voulait en venir, "Everyone Gets Bloody" est ultra efficace, dopé par un son un peu plus moderne qui délaisse ce crunch Laney typique que nous connaissions depuis "Appetizer", FREAK KITCHEN est rentré lui aussi dans l’ère du numérique, lui permettant d’exploiter à loisir le registre le plus grave de sa guitare huit-cordes (dont il abaisse les deux cordes les plus graves d’un ton) pour une précision démentielle que les amplis à lampes ne supportent pas selon lui. Ce confort d’écoute est un changement, et j’ai même réécouté des bouts de "Confusion To The Enemy" pour vérifier si c’était moi qui n’avait pas suivi ce glissement sonore.

FREAK KITCHEN ne perd pour autant pas en personnalité. CEPEENDAAAANT je dois bien avouer qu’il y a pour la première fois un léger sentiment, je ne dirais pas de facilité, mais de répétition, notamment dans ces rythmes quasi dansants mais plombés à la fois qui se décalent tout en subtilité, je finis parfois par avoir l’impression de les mélanger tant ils peuvent me sembler similaires. Du côté expression solo c’est encore différent ; Matthias s’est largement calmé sur les ustensiles non prévus à cet effet qui lui permettaient de faire parler sa guitare d’une manière disons, particulière à l’instar de Ron Thal son partenaire de "Speak When Spoken To". Ses soli ne prennent que peu de place car ils ne sont plus forcément essentiels à l’expression de Matthias Eklundh. Son tapping fait toujours des étincelles, et de son côté, Chris Örtefors a toujours un titre à chanter, sur lequel il est toujours aussi performant, sa performance sur "Down The Drain" faisant vraiment du bien.

Peut-on pour autant dire que l’album manque de fluidité, d’efficacité et qu’il est moins divertissant ? Et bien pas spécialement, c’est presque paradoxal quand je relis mon paragraphe précédent. Il est même plus digeste que "Confusion To The Enemy" par bien des aspects, mais sa découverte, toujours aussi rafraîchissante, laisse place avec le temps à une forme d’habitude. "Everyone Gets Bloody" reste un disque de grande qualité, c’est indéniable, et je prends beaucoup de plaisir à l’écouter, mais il ne m’aura pas tenu aussi longtemps que d’autres albums du trio, la réécoute de "Appetizer" sorti trente ans plus tôt me fait relativiser mon appréciation. C’est la limite de la notation, qu’on ne m’en tienne pas rigueur.

Note réelle : 3,5/5.