Toute objectivité journalistique mise à part, je nourris un intérêt réel mais sans véritable fondement artistique pour le Hard Rock suisse. Servez-moi du GOTTHARD, du SHAKRA, du MAXXWELL et du CRYSTAL BALL, et vous partez gagnant. C’est idiot, comme si une nationalité pouvait être constitutive d’une identité artistique. Lorsqu’on parle de Hard Rock, dont les racines sont profondément ancrées dans les grands noms des scènes européennes et américaines des années 80, il n’y aurait pas grand sens à chercher quelque particularisme helvétique que ce fut. Simplement, très souvent, ces groupes-là maîtrisent leur sujet sur le bout des doigts, ne s’encombrent pas de fioritures, et proposent une musique à la fois sincère, énergique et authentique. CRYSTAL BALL le prouve depuis la deuxième moitié des années 90. Il y a bien chez ce groupe quelques notes distinctives, à commencer par le chant de Mark Sweeney puis celui de son successeur, le remarquable Steven Mageney (au timbre similaire), de même qu’une certaine tendance à vouloir éviter toute remise en question. Mais comment leur en vouloir ? Ces mecs-là sont des passionnés, qui vivotent de leur art. Un immobilisme artistique peut-être le marqueur d’une probité et d’une intégrité qui ressemblent plutôt à des atouts. Solide sur ses appuis, le défenseur ne craint personne.

J’avoue néanmoins avoir fait l’impasse sur le précédent album du groupe, "Crystallizer", une certaine lassitude s’étant manifestée tandis que la formation cumule les sorties depuis qu’elle s’est reformée en 2013. Mais c’est avec plaisir, piqué par la curiosité, que je me plonge dans la découverte de la nouvelle réalisation des Suisses, la douzième si on décide d’inclure l’album de réenregistrements publié en 2019. Baptisé "Crysteria", l’album est pourtant bien mal habillé, engoncé dans une pochette exécrable. Comparez donc cette boule de cristal ignoble, qui semble flotter dans un couloir sombre à l’allure faussement menaçante, aux pochettes de "Timewalker" ou "Dawnbreaker" pour constater l’ampleur du recul artistique en ce qui concerne les visuels. Et puis il y a le logo du groupe, retravaillé avec un amateurisme affligeant, qui ne nous donne guère confiance.

Et pourtant, "Crysteria" est un bon album. CRYSTAL BALL nous sort le Hard Rock de sa jeunesse, de ses années formatrices, et ce faisant le groupe nous propose également ce Hard Rock éternel, sur lequel le temps n’a pas de prise. C’est agréable, car à la manière d’un BONFIRE, CRYSTAL BALL maîtrise parfaitement la construction de ses morceaux, la mise en œuvre de ses refrains, l’interprétation de ses solos. Produit par Stefan Kaufmann, premier témoignage studio enregistré en compagnie du guitariste Peter Berger, ce nouvel album bénéficie de nombreux moments forts. Il y a la vitrine bien sûr, ce duo avec le chanteur Ronnie Romero sur l’explosif "Call Of The Wild" (ce mec donne l’impression d’avoir chanté sur la moitié des albums de Hard Rock publiés depuis les deux dernières années), mais il y a surtout ces éléments que l’on va grapiller ici ou là et qui constituent la véritable identité de cet album. Le solo de "Undying" par exemple, parfaitement calibré, permet d’augmenter le niveau d’audace de ce morceau. Hésitant à se faire rapide, CRYSTAL BALL se fait ici particulièrement percutant sur les titres mid-tempo, à l’image de "Make My Day", son ambiance lourde tempérée par un refrain particulièrement efficace. Les intros, particulièrement soignées, mêlent souvent claviers et guitares, les deux instruments se confondant parfois, se complémentant souvent, pour un résultat réussi. Reste que, l’intro passé, le soufflet vient à retomber, les couplets étant certainement le point faible du groupe, qui sait parfaitement rebondir sur les refrains et pré-refrains. L’énergique et mordant "No Limits" en atteste, se faisant un des titres les plus réussis de l’album. L’inverse est parfois vrai. Sur le peu subtil "Loins On Fire" ("les entrailles en feu…") Steve Mageney se met à chanter comme Bob Catley (MAGNUM), insufflant alors une bonne dose d’originalité dans un morceau une nouvelle fois porté par un refrain impeccable. "Crystal Heart", titre composé et interprété en compagnie des camarades de JADED HEART, groupe allemand au parcours, à la popularité et aux ambiances similaires, constitue également une réussite indéniable, titre moderne qui trouve le bon dosage entre mélodies et force de frappe.

Dire que tout cela est mécanique serait trompeur. Il y a de la vie dans cet album, une véritable intention de bien faire, mais comme souvent avec les groupes de cet acabit, le plaisir de l’écoute est éphémère. L’album est plaisant bien sûr, sur le moment le refrain de "What Part Of No" nous semble indubitablement réussi. Mais pour autant, "Crysteria" ne bénéficie pas de ce goût de reviens-y, tout comme plusieurs de ses prédécesseurs qui, je le reconnais, prennent la poussière sur les étagères. L’ensemble manque de force, de subtilité, d’intérêt, pour que l’on préfère écouter ce nouveau CRYSTAL BALL aux irrésistibles "Lipservice" de GOTTHARD ou "Rising" de SHAKRA. Pour autant, il est évident que si la musique de CRYSTAL BALL vous a tapé dans l’oreille, ce douzième album saura parfaitement vous susurrer à l’oreille ses sonorités séductrices. Un bon album de la part de la formation suisse, dont on peine néanmoins à extraire autre chose qu'un plaisir éphémère et hédoniste.