La peur de voir se transformer un groupe aimé qui marche en rouleau-compresseur purement américain est inévitable, de même que ce sentiment désespérant d'abandon, comme si symboliquement le fan faisait d'un groupe fétiche un amour personnel. Les adorateurs se font plus nombreux, les stades se remplissent, et cette impression étrange d'exclusivité que l'on ressentait avant se dissipe comme un mont dans la toile acide d'une brume rieuse. À chacun son amour parti, pour moi c'est GOJIRA. GOJIRA le Puissant, l’Épique, l'Audacieux ; GOJIRA, rare groupe de Metal qui ait pu autant me faire voyager dans son univers si particulier. Les premiers échos sur "L'Enfant Sauvage" annonçait un retour à cette fascination pour le spirituel, dans la lignée d'un "The Link" bercé contre la poitrine chaude d'un "From Mars To Sirius" jamais égalé.
Mais voilà, "L'Enfant Sauvage" est un Enfant Bâtard. Certes il entre en résonance avec "The Link" dans cette volonté de répéter les lignes mélodiques, pour amener à une forme de transe, et, force est de constater qu'il y parvient moins bien que "The Link", de même qu'il fera moins voyager que "From Mars To Sirius", sera moins écrasant que "Terra Incognita" et souffrira de la comparaison avec "The Way Of All Flesh" question brutalité. Œuvre classique pour un groupe hors norme, qui, emprisonné dans ses propres poncifs, n'arrive pas à sortir du schéma qu'il s'est fabriqué.
Les astuces guitaristiques sont les mêmes, de même que les sursauts d'audace qui faisaient la force de "The Way Of All Flesh" et qui n'ont pas de sens ici (le vocoder de "Liquid Fire"). La plupart des morceaux de ce dernier album sont téléphonés, maquillés par une forme de spiritualité aussi fausse que celle d'un magasin d'encens. Les effluves délicates sont empoisonnées par le sourire froid d'une vendeuse qui ne croit pas en ses produits. Marchand de tapis GOJIRA ? Il reste de grands morceaux : "Explosia", contemplatif et renversant, ou "L'Enfant Sauvage", tribal et fort d'un Joe plus en forme vocalement que jamais.
Mais voilà, GOJIRA se repose, il donne ce que l'on attend de lui, ne prend pas un seul risque dans un album vide, à l'image d'une production trop américaine et sans couleur. Il est possible que l'attente soit trop forte suite à tant de prouesses, et que la sévérité soit trop de mise. Ou bien vraiment GOJIRA a-t-il épuisé ses idées, pourtant si riches par le passé, et il est alors temps qu'il s'éloigne des lumières de New York pour retrouver un temps la Nature qui lui insufflait autrefois tant de mystères.