Pfiou, que de chemin parcouru par CROWBAR en vingt ans....

Grmpffff... (1)

Comme il est facile de se gausser d'un groupe dont la musique a toujours été perçue comme un hommage permanent à une certaine forme d'immobilisme. Du moins en apparence. Car sans avoir l'air d'y toucher, CROWBAR s'est modelé plus d'un visage (2). D'aucun diront qu'il n'y en a que deux (l'avant et l'après "Odd Fellows Rest"). Bien entendu, ce n'est jamais si simple. Et si on peut trouver étonnant que ces variations soient si peu évidentes au regard de l'instabilité de la formation, il faut simplement y voir une preuve du poids (vous n'avez pas fini d'en lire des comme ça...) du leader sur la direction artistique. Ainsi, si le Sludge de CROWBAR est significativement plus pondéré (qu'est-ce que je vous disais...) depuis 1998, il le doit essentiellement à la volonté de Kirk Windstein, si peu à celle de ses comparses. Normal, vous me direz. On ne s'étendra donc pas sur le jeu de chaises musicales qui a conduit au line-up actuel.

Beaucoup plus déterminante est l'influence de Phil Anselmo sur le barbu. Ce n'est pas par hasard si les premiers signes de diversification, les premières modulations dans le tempo et dans le chant, apparaissent avec "Time Heals Nothing", enregistré dans la foulée du "Nola" du désormais très célèbre DOWN. De quelque chose d'encore mal dégrossi (et c'est reparti...), d'un matériau encore assez brut, on passera à un canevas de textures changeantes où cohabitent une multitude d'émotions contraires. Il convient de se replacer dans le contexte, de remettre tout ça à l'échelle pour que mon blabla fasse sens. Toujours est-il que le processus de fusion atteint son point d'équilibre sur "Broken Glass", aussi violent que nuancé. L'album suivant sera certes plus accessible mais fera fortement pencher la balance. Conscient ou pas d'être allé plus loin que prévu dans son entreprise de dégraissage, Kirk s’emploiera à retrouver le parfait dosage. Ce qu'il n'a jamais vraiment réussi. Jusqu'à maintenant ?

Succédant à un "Lifesblood For The Downtrodden" déjà vieux de six ans, "Sever The Wicked Hand", bien qu'il en conserve le côté mature, n'en est pas la suite logique. Du point de vue de la production, on serait même tenté de parler d'un retour en arrière. La double agression de "Isolation (Desperation)" et du morceau titre ne laisse pas planer le doute à ce sujet. L'ensemble est très compact, très incisif et, par certains aspects, très 90's. Une violence retrouvée mais parfaitement maitrisée, à l'image de "The Cemetary Angels" qui alterne avec bonheur déflagrations quasi hardcore et passages plus sereins, voir carrément doom. Le même traitement est appliqué à "As I Become One" ou "Protectors Of The Shrine".

Mais comme l'a prouvé CROWBAR à maintes reprises, c'est avec les mid-tempos que son talent s’épanouit. Et l'album peut se targuer d'en proposer un bel échantillon, à commencer par "Let Me Mourn". Déjà le titre a tout du manifeste. Comment mieux traduire en mots l'éternel état de dépression dans lequel évolue le groupe ? Tout le pathos dont Kirk peut faire preuve condensé en moins de cinq minutes. Mais surtout, c'est un sacrément bon morceau.
Autres pièces de choix : le tir groupé final. Entre "I Only Deal In Truth" et "Symbiosis", que du très haut niveau. Seul "Cleanse Me, Heal Me" fait figure d'intrus. Pas moins bon, juste plus rapide, donc un peu hors-sujet dans ce paragraphe.

Enfin, il y a les outsiders que sont le très doom et très plaintif "Liquid Sky And Cold Black Earth" ainsi que le solennel "A Farewell To Misery", petite pièce instrumentale avec piano cristallin, chœurs larmoyants et guitares en chapelets. De quoi accentuer l'impression de désespoir instaurée par les compositions précédentes.

Au-delà du climat, c'est surtout la cohérence de "Sever The Wicked Hand" qui marque, l'enchainement remarquablement naturel de ses pistes. Rarement album de CROWBAR aura été aussi intelligemment structuré mais également aussi homogène en terme de qualité. Très peu de temps faibles, de longueurs. En fait, aucun déchet à déplorer, simplement de trop rares joyaux véritables ("Let Me Mourn" ne peut prétendre nous donner pleine satisfaction à lui tout seul).

Quoiqu'il en soit, le sieur Windstein et sa nouvelle bande de mercenaires s'imposent une fois de plus comme ce qui se fait de mieux sur la rive nord du Mississippi. Réintroduisant une partie de la hargne de ses premiers efforts, CROWBAR côtoie à nouveau les sommets et signe un album convainquant, son plus équilibré depuis "Broken Glass". La synthèse des années DOWN et KINGDOM OF SORROW ? Pourquoi pas.


(1) Il n'y a pas d’onomatopée officielle pour le rire contenu, alors je fais ce que je peux.
(2) Toute allusion à la pochette de "Odd Fellows Rest" est purement fortuite.