Je suis toujours estomaqué (le terme est judicieusement choisi) de voir autant de fidèles dans la secte que Tolkien a créée, involontairement ou non, avec son œuvre centrale.

Dans le merveilleux monde du Metal, après les influences de la guerre, du mal-être, de la politique, des inégalités, des fées et dragons, vient "Le Seigneur des Anneaux". Il ne se passe pas un seul hiver sans qu'un groupe ne pige dans l'imaginaire légendaire de Tolkien pour: A) Se trouver un nom de groupe; B) Se trouver un concept d'album; C) Se trouver une identité.

C'est ce qu'a fait le trio américain BATTLE DAGORATH en 2002, en immortalisant la dernière grande bataille du Milieu, "Dagor Dagorath", sur sa carte de visite. Cette homérique rencontre au sommet où les Hommes, les Elfes et les Nains croiseront le fer contre les hordes sanguinaires de Melkor, guidées notamment par Sauron. Ceci étant rappelé, que peut-on attendre d'une formation obsédée par l'imagerie de "Dagor Dagorath" ? S'il-vous-plaît, pas une autre pâtisserie sans sucre...

Le résultat est brillant.

On se retrouve avec un disque passablement fourni, à la pochette classique tapissée d'une montagne enneigée, symbole universel d'austérité, de frigidité et d'immensité. Un Black qui répond aux critères obligés, mais qui s'éloigne des productions brouillonnes issues de studios en carton. De plus, BATTLE DAGORATH est américain, alors les comparaisons avec les Scandinaves qui officient en Black Atmo n'ont pas leur place; le Black américain des années 2000 est différent, subtilement, mais différent. Sa principale caractéristique étant d'être terreux, organique, moins pestilentiel que l'euro ou le suédois, par exemple. Et ça adonne bien, car BD est un fier représentant de cette famille avec ses muscles d'acier.

Les initiés ne pourront s'empêcher de comparer certains morceaux d'"Eternal Throne" à WITTR, le grand sachem actuel du Black USA. Les guitares roulantes sur les monstrueuses "Dead Eyes Of The Moon" et "Ruin Upon The Mountain" étayeront leur argumentation. Les plages sont longues et viandées, les hurlements de bête écorchée de Wulfskrieger fusionnent sans problème avec ces atmosphères où le néant courtise les vents glaciaux ("The Marching Shadows Of Eternal Death", "The Dark Fire, The Black Gate"), brises nordiques déchirées parfois par quelques rares rayons de soleil. Ces rais proviennent des cordes mélodiques du sympathique Black Sorcerer BattleAxe, au pseudo aussi coupant que son interprétation.

Notons aussi les deux instrumentales qui entament et achèvent cette tuerie, signés par Vinterriket (NOCTERNITY, entre autres). Ce qui devrait plaire aux amateurs de coïncidences heureuses. Ses deux contributions dépassent aisément l'intérêt que peut apporter la fadissime "Carn Dûm", sorte d'intermède censé nous faire survoler le champ de bataille à vol d'oiseau...

Oui, BATTLE DAGORATH est l'hiver sanglant qui souffle sur la Terre du Milieu : les sombres artisans de cette créature se sont galvanisé les veines de bon vieux Tolkien bien gras et en décrivent avec puissance les monts et les vaux. Épique ("Under The Warlord Spell" est divine), dense, guerrier, démoniaque sur les bords, leur Black est une œuvre à consommer tranquillement, la tête dans les nuages. Quel périple vous ferez !