NARGAROTH brouille les pistes. NARGAROTH refuse de se laisser enfermer dans un style, de se coller une image unique ou un caractère trop monothématique. "Herbstleyd" était d'une ambition démesurée, "Black Metal Ist Krieg (A Dedication Monument)" était son contre-pied. "Herbstleyd" se laissait aller aux pires boursouflures démagogiques, "Black Metal Ist Krieg (A Dedication Monument)" ne se prenait absolument pas au sérieux. "Herbstleyd" tentait l'emphase, "Black Metal Ist Krieg (A Dedication Monument)" se complaisait dans un esprit punk très juvénile. Alors, à quoi pourrait donc ressembler le troisième album studio ? Impossible de le deviner.

En fait, composé et enregistré en même temps que le double EP "Rasluka" sorti en 2002 pour la deuxième partie, en 2004 pour la première, (les pistes sont brouillées, je vous disais), l'esthétique de "Geliebte Des Regens" trouve de naturelles accointances avec ses deux compagnons de studio…et quasiment aucune avec les deux précédents LP.

"Geliebte Des Regens" est une galette imbibée de misère instrumentale, un succédané de XASTHUR (la dynamique inféconde) imprégné d'un fond de DRUDKH (un certain groove et le penchant naturaliste). Jamais je n'aurais pu m'attendre à telle mutation, et quelle désagréable surprise. Autant tomber dans le death metal, le choc n'aurait pas été plus grand. Car le monde du black est envahi de ces amateurs de mélodies perpétuelles, monolithiques et lénifiantes, parfois médiocres, parfois géniaux, en tous cas en nombre plus que suffisant. Ici, Kanwulf nous sert la plus facile des formules, empruntée aux deux noms déjà cités et à tous leurs acolytes, récitée en diagonale et en sautant des paragraphes. Trois morceaux (à quoi bon cette version alternative de "Manchmal Wenn Sie Schläft" gratuite et dénuée de sens ?), deux riffs par morceau, une batterie qui fait du sur place, une production languissante, une voix presque absente. Ainsi qu'une intro naturellement pluvieuse guère convaincante, agrémentée d'un didjeridoo toujours utile en cas de manque d'inspiration. Mais aussi une outro doucereuse, prélude à une vraie fausse piste fantôme dans la même veine que les trois plages principales de l'ouvrage. Soyons plus rigoureux et admettons que "Von Scherbengestalten Und Regenspaziergang" marque sa différence en faisant preuve d'une véritable rage, une haine quasi-bestiale qui rassure et nous rappelle que le black metal consiste en premier lieu en un déversoir, un rejet, s'alimente de misanthropie et de hargne. Aussi drone que "Manchmal Wenn Sie Schläft" et "Wenn Regen Liebt", il s'en distingue intelligemment par sa colère et nous renvoie aux fondamentaux du genre.

Sinon, ce n'est que torpeur et pessimisme, effondrement et apitoiement sur sa misérable carcasse. Et le sujet a été mille fois vu, revu, analysé, joué et rejoué, souvent en mieux. Ce n'est tout simplement pas ça qu'on attendait de NARGAROTH comme on n'attend pas d'un orchestre de death des sérénades doom anémiantes.

Et puis, aurait-on pu choisir pochette plus insignifiante ?
Non, cette surprise n'est pas agréable, vraiment pas. Et "Geliebte Des Regens" et la démarche de Kanwulf est déplacée, elle risque même d'ôter une bonne part de crédibilité à un créateur presque trop fécond et qui ne tient jamais en place.