J’avoue que je ne m’attendais pas à cela. Effectuer un trajet en voiture sur les routes californiennes me paraissait une affaire fort simple. Lorsque m’a été donné le nom de la ville que je devais rejoindre, je m’imaginais une belle autoroute fraîchement asphaltée conduisant à une plage où poussent les muscles huilés et les bikinis alimentés à la chair féminine.
Mais Palm Desert n’est pas Venice Beach, ni même Palm Springs. Le deuxième terme aurait dû m’alerter.

Déjà, l’étrange pick-up d’un noir délavé par le soleil produit un bruit de moteur infernal. Le volant suinte, assailli par ma sueur et d'agressifs rayons du soleil, le siège me brûle, comme pour me faire comprendre sa propre douleur. Je garde un œil rivé sur mon jerricane d’eau tiède, synonyme de survie, l’autre se pose de temps à autres sur les quelques cactus bordant l’ébauche de route que je suis contraint d’emprunter.
La nature est ici misanthrope. Elle ne tolère que les créatures les moins sujettes à l’anthropomorphisme, crotales peu accortes, scorpions au lustre belliqueux, veuves noires malveillantes. Ma présence n’est pas souhaitée et je lutte de tout mon être contre un endormissement commandé par l’astre du jour, qui joue de son incommensurable énergie pour avertir les intrus de l’erreur qu’ils commettent en visitant ces terres impropres à la vie humaine. Aujourd’hui, le maître des lieux est fâché. Et l’avertissement pourrait devenir sanction…

"Hé, réveille-toi !
-Quoi ? Que se passe-t-il ?
-Tu t'es endormi au volant, mec, t'as eu de la veine de tomber sur nous, il n'y a pas grand monde sur ces routes normalement.
-Euh, oui. Et la voiture ?
-C'est bon, elle est dehors, elle t'attend, on t'a retrouvé dans le fossé, tu ne devais pas abuser de la vitesse. Ca t'a sauvé la vie, je peux te dire. Je reviens, bouge pas."

L'homme qui me parle a les cheveux longs, et une barbe de plusieurs jours, il sent la poussière, sa chemise bûcheron est sale. Alentour, il me semble apercevoir un ampli guitares, énorme et envahi par le sable. Et puis, une batterie…Oui, on dirait bien que j'ai atterri dans un local de répet'.
Mais qu'est-ce qu'il peut faire chaud, j'étouffe. Et quelle fatigue. Je ne sais pas trop si c'est l'accident ou le climat mais j'ai la tête qui tourne. Oh merde, je n'arrive pas à garder les yeux ouverts…

Et alors que je replongeais dans une pesante léthargie, l'homme à qui je venais de parler était de retour accompagné de trois collègues au look identique. Déjà, je ne voyais plus rien mais j'entendais ce gros ampli s'allumer avec ce "pop" caractéristique.
Tous les instruments partent ensemble, dans un mouvement lancinant. Mon corps chavire vite au son de ce déluge de saturation étouffée qui ne trouve son équilibre que dans un balancement discontinu. Le chanteur entame sa mélopée, son timbre mélodieux m'intrigue.
Mais je ne suis pas en état de continuer, la basse m'inonde de son ronron, les guitares me font plier sous leur poids, la batterie m'invite à une danse qui n'en finit pas. Cette chape phonique est tellement confortable. Me berce-t-elle ou suis-je drogué ? Je me sens partir, c'est tout ce que je sais…je ne suis plus là.