Il pleut dehors, il fait gris, infiniment gris, et ce qui me reste encore, c'est ce gigantesque tableau sonore, qui à premier abord paraît trop obscur, puis d'où se révèle peu à peu une foule de détails. Avec le temps les oreilles s'habituent à l'obscurité, et s'en accommode, le gris commence à revêtir infiniment plus de nuances que tout autre couleur. Puis arrive cette sensation étrange, où en plein milieu de cette fresque pluvieuse et nostalgique, ces sentiments obscurs deviennent indispensables. Un peu comme une tragédie quelconque où l'on apprécie chaque instant de la décadence du personnage. Mais ici les personnages sont nos pensées, nos souvenirs.

Difficile en fait d'aborder ce troisième album des américains d'AGALLOCH sans une intro que certains (surtout les afficionados de doom) auront trouvé sans doute banale, limite pompeuse, mais qui m'a semblé tout à fait nécessaire dans l'approche de "Ashes Against The Grain"( titre assez peu accessible d'ailleurs). Comment en fait parler objectivement de ce genre d'album étouffant de lyrisme, qui vous prend aux trippes, qui ne vous lâche plus, qui s'attache à vous, vous conforte dans un automne mental qui devient tout aussi poisseux que plaisant.


C'est un ciel plus troublant et mystérieux que cinglant ou étouffant qui nous étreint dès les premiers instants de "Limbs". Etendues sur de longues plages, les compositions riches et alambiquées d'AGALLOCH paraissent aérées, mais jouent pourtant dans un registre doomesque ultra plombé et cafardeux. Les passages ambiants se font plus nombreux sur la série des "Our Fortress is burning...", écartant une lassitude, qui au bout de trois quarts d'heure pourrait bien commencer à apparaître.

A des raclements de gorges maladifs, ou quelques cris de détresses à glacer le sang (sur la perle qu'est "Not Unlike The Waves") succède (ou précède!) un chant clair plus humain (enfin :p) qui rappelera notamment KATATONIA. Quant aux guitares, électriques ou acoustiques, elles se muent en ombres fugitives, nostalgiques ou plaintives, parfois torturées. Faute de ne pas créer un nouveau langage "guitaristique", AGALLOCH montre qu'il sait utiliser avec brio les sonorités les plus touchantes de ces instruments.

Le plaisir qu'on éprouve à ressentir chaque morceau, dans toute son ampleur, dans toute sa profondeur devient tout aussi saisissant que la dose d'idées noires qu'il nous balance à la tronche. "Ashes Against The Grain" est un album excellent, un incontournable de l'année, qui souffre parfois de quelques longueurs (malgré une tentative de calmer le jeu sur la fin de l'album, les bruitages de "The Grain" sonnent un peu comme du remplissage, mine de rien), de quelques automatismes et redondances dans l'écriture des riffs à force d'écoutes, un peu essoufflant aussi (il n'est pas rare de ressentir malgré tout quelques crampes intestinales)... C'est à peu près pour ça qu'il n'atteindra pas la note maximale.


Je ne doute pas que je passerais mes quelques jours de nostalgies automnales sous le poids des riffs de cet album, sur un rythme tout aussi lent et plombé. Je ne doute pas non plus que les afficionados du genre (et même les autres) passeront à côté de cet opus mystérieux et génial.

Et dehors? Oh, Il pleut toujours.
Pourvu que ça dure...