Ceci n'est pas un album de Foreigner.

La bière sans alcool, d'accord. Le café sans caféine, passe encore. Le beurre sans sel, peut-être. Mais Foreigner sans Lou Gramm ! Sérieusement, c'est non. Qui a envie d'entendre Foreigner sans Lou Gramm ? Personne. Non, personne ne veut essayer ça. Qu'on se comprenne bien : Lou Gramm dans Foreigner, ce n'est pas un ingrédient. Ce n'est pas quelque chose que l'on pourrait enlever en conservant quand même le goût ou la texture. Non, c'est bien plus que ça. C'est une partie de l'essence même du groupe. Sans lui, Foreigner n'a pas de voix. Et autant sortir un disque instrumental. Franchement, c'est comme Iron Maiden sans Di'Anno, c'est comme Cannibal Corpse sans Chris Barnes, les Charts sans Calogero, Anthrax sans Belladonna (ah non, c'est vrai, c'est dix fois mieux avec John Bush), U2 sans Bono (ah non, ça aussi ce serait dix fois mieux)… Bref, ça ne passe pas, c'est incomplet ; il manque quelque chose de crucial. Comme si l'on pouvait trouver un vague remplaçant à celui qui a fait l'identité profonde de Foreigner. Aucune chance.

Comment se passer de Lou Gramm ? Lui qui, avec sa voix d'or, brillant de mille feux étincelants, baignait – tel le soleil levant chauffant le cœur des peuples réjouis – nos âmes ignorantes dans la chaleur éternelle de ses multiples bienfaits. Lui qui, d'un seul mot, d'une vocalise hardie et parfaite, nous guérissait de nos maux, refermait nos plaies et suscitait – d'un raclement de gorge – l'adoration éternelle de ceux dont les oreilles ne méritaient pas de recueillir ainsi un trésor inestimable. Un jour, Lou Gramm avait consenti à ouvrir la bouche en présence des autres hommes, il avait daigné formuler un son, et depuis ce jour l'humanité avait enfin découvert ce que pouvait être la parole d'un géant s'adressant à des fourmis. Sans doute ne pouvions-nous pas tout à fait entendre ce qu'il nous disait. Sa voix était trop riche, trop subtile, pour être entièrement perçue par des humains sourds à la musique des dieux. Mais ce qui parvenait jusqu'à nous était encore suffisant pour combler de bonheur, de grâce et de délice la plus infime des secondes passées à l'écouter.

Alors franchement, leur nouveau chanteur, ils peuvent se le garder. En quittant le groupe en 1989, Lou Gramm a emporté avec lui tout ce qui en faisait l'intérêt. Parce que ce ne sont pas les quelques mélodies mièvres d'un Mick Jones esseulé et peu inspiré qui vont perpétuer la mémoire de Foreigner. Surtout avec ce fade substitut, pire que Bono, le dénommé Johnny Edwards (quel nom !), qui tente de parodier en vain Celui que L'on ne Peut Imiter. A ce stade, c'est presque un sacrilège. Et de « Only Heaven Know » (mou et ennuyeux) à « Unusual Heat », dernière chanson ratée qui donne son (mauvais) titre à l'album, on vit forcément un calvaire. Et surtout que l'on n'essaye même pas d'imaginer ce que tout ça aurait donné avec Lou Gramm à la place : ce serait encore croire qu'il n'était qu'une voix comme une autre posée sur des chansons composées par d'autres. Impossible. En 1991, quand sort cet album, Foreigner n'existe plus. Ce disque ne devrait même pas figurer dans la discographie du groupe. Il aurait mieux valu prendre… allez, Calogero. : ça n'aurait pas été pire.

Mais pas Bono, faut quand même pas pousser.