Méfions-nous des disques qui commencent par un énorme tube. Ces derniers représentent trop souvent l'arbre qui cache un désert artistique et la plus dormitive des écoutes.
"Cold Seed" fait figure de morceau passe-partout. Les radios l'épouseraient pour son groove immédiat et son petit côté dancing, les goths y verraient le parfait allié de leurs déhanchements du samedi soir, les amateurs d'électronique se délecteraient de sa production de perle fine, les metalleux l'adopteraient comme dernière compagne à la limite de la pop, les bobos se trouveraient à la pointe de la pointe en dénichant cette bizarrerie sortie de nulle part. j'utilise un conditionnel qui atteste d'un échec. Car "Cold Seed" aurait pu devenir immense, surdimensionné, boursouflé. Et ce tube réfrigéré de l'été sera resté dans l'ombre, ses admirateurs l'auront gardé pour eux, les autres, on s'en fout.

Puis vient le désert.

Un désert metallique prévisible depuis le programme minceur adopté par Johan Edlund depuis déjà bien longtemps. "Wildhoney" ne comportait déjà plus que quelques riffs puissants intégrés à une musique à l'esprit très Floydien. "A Deeper Kind Of Slumber" ne se sert plus des guitares qu'en complément organique à un ensemble très largement numérique et atmosphérique. Ce sont encore 3 ou 4 kilos et une taille de pantalon qu'a perdus une déesse babylonienne ayant, semble-t-il, achevé sa métamorphose. Gilmour et Waters apparaissent encore en filigrane sur un parterre une nouvelle fois modifié, ils ne volent pourtant plus la vedette à d'autres influences devenues très palpables. Sera-t-on capable de toutes les identifier ? Non, mais on peut essayer.

Le MOONSPELL de "Sin/Pecado" : influence étrange d'un concurrent. Ce goût pour l'électronique soyeux, plus érotique chez le Portugais, plus lounge chez le Suédois. Deux chants qui s'entremêlent par instants.

Du tribal urbain cocaïné : "The Desolate One" en est un bel exemple. Des rythmes faussement africains et très parisiens, des talons aiguilles, des aiguilles et du barebacking.

Buddha bar : c'est indien mais c'est pas du tout indien, il y a des putes encore et toujours, des gros qui soufflent fort et transpirent en buvant une vodka caramel ou cranberry (la boisson des couillons). On retrouve l'esprit de la référence précédente mais on le lyophilise.

La Belgique des dancefloors : FRONT 242, FRONT LINE ASSEMBLY, la mécanique de l'Electro Body Music et "The Whores Of Babylon".

Le marketing Air France : Le ciel est bleu, il ne s'y passe rien. Un chant féminin lointain, un saxo ou une nappe de synthé.

Un ami qui fait du trip-hop : il écoute PORTISHEAD et pas mal d'autres, Il tripote beaucoup les boutons et conserve quand même précieusement ses vinyles de JOY DIVISION.

Ajoutons trois louches de personnalité et on obtient cette galette. Un kaléidoscope aux moments très forts, aux autres plus faibles. Un album plus homogène que "Wildhoney" mais duquel on sera cependant bien obligé d'extraire un premier morceau aussi excellent que mal à-propos en introduction de cet univers de rêve sombre et délicat, plus léger encore qu'un prédécesseur qui se battait encore avec le passé doom de son géniteur.

Tout sauf un désert artistique et une bien belle façon de passer la nuit.