Quelques compères avaient déjà tracé leur voie : THERGOTHON et UNHOLY. Ce n'est qu'un an après le "Stream From The Heavens" de THERGOTHON que sort le premier album d'une future grande formation de ce que l'on nomme aujourd'hui funeral doom. Ce groupe dont le nom ne rappellera certainement pas vos ballades champêtres enfantines, c'est SKEPTICISM. Ces 4 Finlandais (line-up inchangé depuis le début en 1991) poussent le projet de THERGOTHON encore plus loin, en privilégiant grandement les claviers, après avoir sorti deux démos en 1993 et 1994.

L'idée est de proposer une musique encore plus lente, s'étalant à plusieurs reprises dans la dizaine de minutes. Les guitares seront reléguées au second plan, au profit des claviers. La batterie sera outrageusement lente, avec quelques effets bien spécifiques. Le chant, digne d'un chanteur Death Metal, sera à l'instar du même THERGOTHON, très profond et flou. Flou est l'adjectif qui me semble le plus convenable pour qualifier "Stormcrowfleet". Le son est terriblement mauvais, et cela a malgré tout du charme. Les guitares semblent encore plus lointaines, leur saturation ressemble à un bourdonnement épais et empêche de distinguer correctement un changement de notes lorsqu'elles se baladent tout au bout des cordes (des accords graves, quoi).

Rendons en premier lieu un hommage au style qui vient de se créer : un mélange Doom/Ambiant. "Stormcrowfleet" est le premier album laissant coexister la lenteur extrême d'un Rock avec des claviers aux notes perpétuellement irréelles. L'ensemble m'apparaît comme cauchemardesque, tout y est réuni pour vous angoisser pendant une heure : la batterie particulièrement statique adopte cette sonorité bizarre : tantôt évoquant un gong et tantôt un battement de cœur, SKEPTICISM souffle pour nous, suffoque à notre place. Les claviers, prenant souvent l'allure d'orgues, distillent souvent un voile mortuaire très convaincant. Enfin le chant est si linéaire et indécryptable qu'il constitue une sorte de passeur pour la musique, le Charon vous tendant la main sur sa barque pour vous amener là où SKEPTICISM le souhaite.

Et ils y arrivent bien. Vous n'avez nullement besoin d'attendre que les claviers deviennent aériens pour que "Stormcrowfleet" vous transporte dans l'au-delà, dans le métaphysique, dans ce qui vous paraît le plus imaginaire et terrifiant. Le voyage n'est d'ailleurs pas de tout repos, vous aurez à lutter difficilement face à deux impressions : l'une vous menacera, s'appuyant sur un rythme horriblement lent, où les guitares suintent la douleur, l'autre vous illuminera de ses atmosphères vaporeuses que les claviers peuvent créer par moments. Le tout évolue à son rythme, mais on est si déconnecté pendant l'écoute que les changements ne s'entendent plus. L'heure entière devient presque "linéaire" et de bout en bout ce spectacle d'une mort éthérée est prenant.

Dois-je saluer l'effort, l'entreprise, le génie ? Tout à la fois plutôt. Chef d'oeuvre funéraire, déprimant à souhait sans jamais être lourd ou imposant, "Stormcrowfleet" est joué de la même manière de "Sign Of A Storm" à "The Everdarkgreen". N'y voyez là rien de trop dense ou de pas assez recherché, laissez-vous faire dès le début, captez ces sons bizarres qui émanent d'un peu partout, imaginez votre propre rêve. On ne peut ressortir d'une telle écoute avec un avis totalement neutre. Vous aussi vous prendrez votre pied pendant vos crises d'angoisse.