Douze albums de KORPIKLAANI… Certains vous diront qu’il s’agit d’une torture à spectre large, et je ne vous cache pas que la qualité relative des productions des Finlandais fait l'objet d’un running gag en interne entre les chroniqueurs. Culminant à une moyenne de deux étoiles à l’heure où sont écrites ces lignes, avouez que la perche est trop belle pour ne pas être saisie. Alors, que faut-il attendre de cet énième LP ? La continuité d’une glissade vers un Folk de plus en plus coulant et geignard, un retour aux sources avec une musique à la fois traditionnelle et dansante, ou un bon d'adhésion aux alcooliques anonymes ? Rantanplan(*) et tararaboum(**) !

Oui, littéralement, car "Rankarumpu" se traduit du finnois par "roulement de tambour". On peut donc s’attendre à plus de nervosité et de dynamisme que lors de leurs récents essais, et, premier indicateur qui ne trompe pas et traduit un premier exploit personnel : l’album affiche moins d’une heure au compteur, et même moins que quarante-cinq minutes ! Tout arrive. Et cela a un impact immédiat sur le pouvoir de captivation de la galette : les titres sont plus succincts et percutants, ils ne dépassent pas les quatre minutes pour la plupart, et ainsi ne se perdent pas dans des palabres chamaniques et autres soli de biniou comme les KORPI nous servent par paquets de douze depuis un quarteron d'albums.

Malgré tous les seaux de merde qu'on pourra leur balancer sur leurs raccourcis de composition et autres égarements dans des gimmicks de Folk clichés à souhait, impossible de nier leur capacité à produire des hits prenant tout leur sens en live, et "Rankarumpu" ne fait pas exception à la règle. En l'occurrence, une sacrée poignée peut prétendre à ce statut, que ce soit "Kotomaa", "Aita", "Saunaan", et même l'éponyme, tous trouvent un équilibre entre joyeuse ébriété et fantaisie dans l'élaboration d’airs dansants à l'exécution propre et efficace grâce à l'implication de chacun des membres. Le rythme soutenu et la singularité des titres est notamment assurée par les fûts de Mikkonen, qui cravache sans relâche pour rythmer alternativement la galette (et se juxtaposant aux riffs de Savijärvi, parallèlement simplistes).

Même les titres plus sombres auxquels Jonne et sa bande de farfadets des forêts scandinaves nous habituent depuis des lustres présentent un réel corps et intérêt, en tirant plein bénéfice de la voix rocailleuse du frontman (et en ne se parodiant jamais lui-même). Ainsi, "Oarakkelit" ou encore "Mettään" viennent piocher dans des éléments de Folk plus traditionnels et sérieux à la FINNTROLL, avec réussite. On peut en effet partager de la culture et des légendes claniques sans feindre une entrée en transe, proférer des incantations, et avoir les yeux qui roulent derrière la tête…!

Sans être exempt de titres plus faiblards comme "No Perkele" (à la mélodie trop sommaire malgré le tricotage à l'accordéon pour compenser), et "Harhainen Höyhen" (trop longuette, ça ne pardonne pas !), l'addition sur douze titres est loin d'être salée, et KORPIKLAANI peut se targuer d'avoir entre les mains un bon album. Eh oui. Un mythe tombe, finies les moqueries.

"Rankarumpu" nous fait ainsi une petite piqûre de rappel : il est trop tentant de désigner un bouc émissaire à brimer aveuglément sous prétexte d’être sous-genre dédaigné, d’avoir une esthétique trop bon enfant, et des sujets superficiels et/ou traités légèrement. Bien que les Finlandais aient indiscutablement pu produire des galettes de facture douteuse, l’arrivée d’un quelconque album issu de leur esprit joyeux, ou rien que l’évocation de leur nom sur un running order d’un festival fera l’objet de railleries, car KORPI ça DOIT être de la merde. Preuve en est que non, et à ce jour, en passant au presse-agrumes l’ensemble de leur discographie, il y a de la matière pour assurer des lives de plus d’un tour de cadran pour une foule en liesse dans une euphorie sans retenue, et "Rankarumpu" ajoute un bloc de marbre à l’édifice.

Dans les contextes sociétaux actuels où la banalisation de l'acharnement sur des individus en marge des masses (ou autre justification farfelue) induit toutes sortes de violences au travers de harcèlements ou de chasses aux sorcières, il serait de bon augure de ne pas emprunter ces chemins hasardeux véhiculant haine et rejet dans le milieu artistique, et d’inculquer à l’inverse des valeurs de tolérance à nos congénères.

KORPIKLAANI peut être étiqueté de groupe benêt et pas très profond, mais leur bonhomie et leur sympathie innée n'en fait pas un groupe crétin, pas plus que ne l'est son public en quête de positivité débridée. Surtout après avoir produit un aussi chouette album. Et en prime, au travers de la sincérité de leur art, ils ne cherchent pas à nous prendre pour des cons, eux.

Respect !

Morceaux préférés : "Saunaan", "Kotomaa", "Mettään".

(*) Armand Gouffé, Le jour de l’an, tableau de vingt-quatre heures, l’Epicurien Français.
(**) Jean-Paul Sartre, L'enfance d'un chef.