Jusqu'à présent, la reformation de CIRITH UNGOL était une réussite totale. Un parfait contre-exemple à citer en soirées mondaines lorsque certains vous diront que les reformations ça ne sert à rien et ça ne fait que ternir le passé. D'autant plus que l'on a pas là un groupe qui se contente d'un unique album de reformation prétexte à de nouveaux concerts, nouveaux concerts qui vont d'ailleurs se faire rares car l'âge avancé de ses membres a sapé leur envie et leur capacité à poursuivre leur ravages scéniques au-delà de l'année 2024. Mais la créativité artistique les anime toujours, ou peut-être se sont-ils tout simplement dit qu'il y avait encore trop d'illustrations du Melnibonéen par Michael Whelan à mettre en musique et qu'il devait donc poursuivre cette quête, coûte que coûte.

"Dark Parade" est donc le nouveau joyau sombre de CIRITH UNGOL. Le groupe nous ayant habitué à un très haut standard de qualité, on ne peut guère imaginer qu'il va nous décevoir. Cependant, je dois bien avouer que cet album n'a pas su me charmer instantanément, j'ai même eu plutôt tendance à le mettre un peu de côté.
Pourtant, "Velocity (S.E.P.)", qui porte bien son nom, est parfaitement taillé pour nous rassurer. Une entame qui rappelle de façon évidente l'album "One Foot In Hell". Un morceau véloce (bah oui) et sans chichi, qui aurait sans doute été plus marquant si Tim Baker n'avait pas un peu perdu de son agressivité. Évidemment, le timbre du vocaliste est reconnaissable entre mille, mais avec le temps les caractéristiques les plus agressives de son chant se sont largement émoussées et parfois on se dit que certains morceaux auraient pu être encore tellement mieux s'il avait gardé sa hargne d'antan.

Le souci de cet album c'est qu'il a un côté un peu uniforme. "Velocity (S,E,P)" étant une exception, l'album privilégiant largement les titres Doom, les riffs joués en staccato plutôt que les galops épiques. Pourtant les titres varient les tempos mais le son massif et doomy des guitares tend à lui donner un côté plus ramassé et surtout à gommer pas mal de nuances. "Sailor On The Seas Of Fate" qui se veut être la pièce épique de l'album, quelque part entre "King Of The Dead" et les épiques de l'album "Paradise Lost", est une belle illustration de ce qui ne fonctionne pas totalement ici. Le début est pourtant plus que prometteur, mais le break central qui devrait être le moment fort ne se détache pas suffisamment. Le livre de Moorcock aurait mérité une meilleure illustration sonore que cette longue compo qui s'avère finalement un peu trop uniforme malgré des chœurs angoissants comme eux seuls savent le faire. C'est un sentiment qui est global pour l'ensemble de l'album. Pourtant, CIRITH UNGOL tente des choses, comme sur "Sacrifice" avec ses touches de flamenco en intro et un Tim Baker qui donne tout ce qu'il peut en alternant growl et chant quasi Black !

D'autres morceaux sont quant à eux tout à fait classiques, tel que "Relentless" ou "Looking Glass", du Heavy doomy bien foutu mais avec ce léger goût de déjà entendu, il faut dire que si Tim Baker est un chanteur des plus singulier, on ne peut pas dire qu'il renouvelle beaucoup ses lignes de chant. "Looking Glass" a cela dit pour originalité d'être à la fois le morceau le plus court de l'album, et aussi celui qui contient le solo de guitare le plus long, dans un style vintage. "Dark Parade", le title track, offre une structure à rebondissement, tandis que "Distant Shadows" renoue avec ce Heavy Doom traînant et apocalyptique s'enchaînant parfaitement avec le très sombre "Down Below" et son texte à l'avenant. D'ailleurs, la seconde moitié de l'album forme une quadrilogie sur la chute de l'humanité, une thématique chère au groupe depuis longtemps ("Brutish Manchild", un de leurs plus vieux titres, l'évoquait déjà), qui accentue le côté très sombre de cet album (Robert Garven reconnait d'ailleurs avoir voulu accentuer un peu plus cet aspect de leur musique, qui était déjà largement présent sur "Forever Black").

Mais je reste avec une impression un peu mitigée. Ça reste bien sûr très qualitatif dans l'ensemble, rien à voir avec ces groupes en pilotage automatique ou sans personnalité, les Américains restent largement au dessus de la mêlée. Mais j'ai le sentiment ici que CIRITH UNGOL à quelque peu cédé à une certaine mode du son massif et compact, des guitares très sombres, une voix mixée trop en retrait, pensant que l'ensemble allait forcément sonner plus puissant. C'est une erreur de penser cela, ce genre de prod lisse le son et empêche les compositions d'exprimer au mieux toutes leurs nuances. C'est dommage car l'EP "Half Past Human" avait réussi exactement l'inverse et se montrait ainsi beaucoup plus virulent et incisif.

À trop vouloir insister sur sa facette Doom et caverneuse, tant sur le fond que sur la forme, CIRITH UNGOL annihile presque ses propres efforts pour rendre sa musique variée et surprenante (car oui, cet album contient son lot d'idées nouvelles). L'accent mis sur l'aspect sombre et pessimiste de son discours se fait au détriment de ses élans plus épiques. Cela dit, la frange la plus doomeuse de son public y trouvera très certainement son compte.