Qu'avons-nous fait de ces vingt dernières années ? Vingt ans. Une génération. Nous avons grandi, nous avons vécu, nous avons ri et dansé, nous avons applaudi la naissance de nouveaux groupes prometteurs, nous avons pleuré la mort de nos artistes favoris, nous nous sommes laissés dépasser par une production musicale qui, à l'image de notre monde, va trop vite pour les simples mortels que nous sommes. Et pendant tout ce temps, qu'a fait MASTERPLAN ? Le groupe de Roland Grapow a connu l'enivrante exaltation de ses débuts prometteurs, par le biais d'un premier album dont la naïveté de bon aloi est alors canalisée par l'expérience de l'ex-guitariste de HELLOWEEN, ici fort bien entouré. Vingt ans plus tard, cet album garde des allures d'intouchable, par ses qualités intrinsèques tout d'abord, puisqu'il est sans aucun doute un des meilleurs albums de Heavy Metal publiés depuis le début du siècle, ensuite parce que MASTERPLAN n'a jamais fait mieux depuis. Roland Grapow a peu à peu transformé son groupe en récréation, l'activant entre deux travaux de production dans son studio. Jorn, entre ses allers-retours au sein de la formation, n'a jamais connu le même éclat, même s'il s'en est approché à quelques occasions ces dernières années (le morceau "The Scarecrow" sur l'album du même nom d'AVANTASIA, ou encore le formidable album "Dracula - Swing Of Death"). Mais les faits sont là : la qualité du premier album de MASTERPLAN n'a jamais été égalée par ses protagonistes.

Le Heavy "à l'européenne" semble depuis quelques années en perte de vitesse, les lames émoussées par l'absence d'innovation et de remise en question d'un style dont les codes, pourtant faits pour être brisés, semblent intouchables pour la plupart des pratiquants de cette musique. Ainsi, ce premier MASTERPLAN reste un phare dans la nuit, et si l'on peut trouver de prime abord inquiétant d'être bien plus émoustillé par l'édition-anniversaire de cet album que par la majorité des sorties récentes, une seule écoute suffit à nous rappeler pourquoi il serait déplacé de ne pas continuer à voir en cet album une des grandes réussites artistiques de notre siècle. La voix de Jorn, naturellement combinée aux guitares de Grapow et à la vision de ce dernier, qui se traduit notamment par des arrangements audacieux ("Soulburn"), reste particulièrement savoureuse. Et puis, cette recherche mélodique, ce sens de la construction rythmique, continue de faire de morceaux tels que "Spirit Never Dies", "Enlighten Me", "Kind Hearted Light" des pépites Heavy Metal à l'aura intacte.

Vingt ans plus tard donc, les éléments se combinent de nouveau pour fêter dignement cet anniversaire. Deux éditions vinyle, mais c'est surtout la version digipack qui nous intéresse ici. En effet, elle présente l'intégralité de l'album de 2003, à laquelle sont greffés les trois titres bonus qui se trouvent pour la première fois rassemblés : "The Kids Rock On", titre bonus de l'édition japonaise, un titre Hard Rock intéressant doté de chœurs très Pop ; "Through Think And Skin" (Hard/Heavy un peu bancal) et "Black Dog", reprise de LED ZEPPELIN, tous deux déjà présents sur le maxi-CD "Enlighten Me" publié en 2002. En plus, un DVD présente un Live de cinquante minutes, capté à Göteborg le 20 février 2003. MASTERPLAN en est alors à la trentième étape d'une longue tournée à travers l'Europe, l'Asie, l'Amérique centrale et du sud. Nous nous retrouvons ici pris dans le feu de l'action, au plus près du groupe (et de la basse en squelette de poisson d'Alex Mackenrott). Les lumières sont minimalistes, quelques effets pyrotechniques sont de la partie, mais c'est bien la prestation qui nous séduit ici, un mélange idéal entre puissance et mélodie. La voix de Jorn, véritable lion dans l'arène, est la perfection faite homme. Les claviers très en avant participent à rendre le son compact, et l'on regrette finalement uniquement le mixage du public, qui donne une impression un peu factice. Il manque juste l'interprétation du medley HELLOWEEN/JORN ("The Chance"/"Sunset Station"/"The Departed") pour que le bonheur soit à son comble. En complément, le DVD propose des scènes backstage et sur la route captées à Malmö et à Oslo les 24 et 25 février, quelques jours après le concert ici présenté.

On se retrouve ainsi à découvrir comme au premier jour cet album irréprochable qui, sans nous rendre nostalgique, nous laisse tout de même un sentiment amer et de gâchis au moment de réévaluer la carrière de MASTERPLAN, qui n'aura jamais été à la hauteur de ce premier album qui n'aura a priori pas de successeur capable d'égaler sa force et sa beauté, même si Roland Grapow peut encore nous surprendre. Vingt ans plus tard, toujours un p***** d'album essentiel, et cette version définitive est chaudement recommandable pour qui ne l'aurait pas encore sur ses étagères.