L'une des légendes du Hard Blues anglais, FREE, n'a jamais, finalement, connu le succès qui aurait pu être le sien. C'est que vous avez face à vous des puristes, pour lesquels le Rhythm & Blues, la Soul et le Rock And Roll sont une religion, de jeunes musiciens pour lesquels la musique est bien plus importante que la célébrité, la scène une récompense.

Les jeunes musiciens oui. Ces petits génies, qui ont déjà produit quatre albums en moins de trois ans vivent la vie de rockeur intensément. Si Paul Kossoff sait qu'il a un terrain favorable pour les substances dans les situations délicates (qui date de la période où il prenait des amphétamines, ado), Paul Rodgers et Andy Fraser, soit le tandem créatif de ce quartet, voit la tension s'accroître, Andy Fraser se sentant utilisé comme exécutant des idées de Paul Rodgers qui cherche à proposer davantage ses propres idées individuelles, là où Paul se sent déconsidéré en tant que compositeur par le benjamin de la bande. Et ce pauvre Paul, il en fait les frais dans les deux cas, et il va avoir de plus en plus besoin d'un refuge.

Alors qu'il est sur le point de devenir vraiment important, ce que les chiffres de vente décevants de "Highway" n'étayent pas, FREE est au bord de l'implosion. Toutefois, pour honorer ses engagements, il va enregistrer en mars 1971 de nouvelles idées. La plus en vue c'est "Brother Jake" qui va bien se vendre et même propulser le groupe à Top Of The Pops… Sauf qu'ils vont se séparer quelques jours à peine après la diffusion. L'autre titre de ses sessions, on va le retrouver ici, il s'agit de "Get Where I Belong" ; un Blues subtil et étoffé par le piano et la guitare acoustique ajoutée par Andy Fraser après prise live. Mais cela ne nous dit pas comment elle se retrouve en queue de peloton d'un album live.

FREE s'embarque au printemps 1971 pour une tournée mondiale. L'ambiance est tellement tendue qu'avant même de partir pour les dates américaines, le groupe cale après la date de Sydney le 9 mai 1971. Chacun repart de son côté, amer et déçu. Et c'est par ce concours de circonstances que va naître le seul Live officiel de FREE. Sa maison de disques, Island Records, assemble rapidement des extraits de deux concerts captés l'année précédente. Ainsi, la date du 1er janvier 1970 à Sunderland et celle du 13 septembre à Croydon serviront de base pour un album live.

Le show de Sunderland s'est déroulé devant une foule incroyablement nombreuse pour l'époque, sachant que le groupe venait à peine de sortir un deuxième album qui ne confirmait pas les espoirs de "Tons Of Sobs". D'ailleurs, les quatre musiciens n'en extraient que "Woman" et "Trouble On Double Time". S'ils sont subtils, ils sont bien conscients qu'ils ont besoin de morceaux qui roxent bien pour susciter l'adhésion des gens. Problème sur cette date, la foule est tellement en liesse que le groupe en est un peu débordé, à l'image de Paul Kossoff qui se fait prendre par le cou par une fan dès "I'm A Mover", interrompant momentanément la guitare. Et autant vous dire que quand il n'y a que trois instruments en plus de la voix sur scène, ça fait vite un trou dans la raquette. Ce qui est intéressant, c'est qu'à ce moment-là, FREE joue déjà "All Right Now", qui ne sera gravée que plusieurs mois plus tard. Et d'ailleurs ça se sent un peu. Le fait de commencer par ce riff ultra accrocheur est une bonne idée, mais on sent que ça jamme sec, et que Paul Rodgers cherche encore un peu avec ses acolytes comment structurer efficacement le morceau.

Le deuxième concert est tout autre, et constitue sans surprise la plus grosse partie des prises sélectionnées pour "Free Live!", ce que la version augmentée du Live sortie en 2002 permet de confirmer. Le groupe y semble plus en place, se sentant pousser des ailes après son triomphe au festival de l'Isle de Wight quinze jours plus tôt, plus en harmonie avec le public aussi, et il s'en dégage de vrais moments de grâce ("Mr. Big", "Woman"). Pourtant, cette ambiance de Sunderland sied à merveille à l'écoute d'un Live, et l'ingénieur du son en charge d'assembler le "Free Live!" à l'époque, soit les sept premières pistes auxquelles "Get Where I Belong" est adjoint, à utilisé la reprise micro des bruits de foule pour servir l'ambiance de ce disque, qui se voulait éminemment commercial. Et d'ailleurs ça fonctionnera, "Free Live!" devenant un gros succès, en se hissant à la quatrième place des charts, tout comme le single "Brother Jake" quelques mois plus tôt.

Bien entendu, le fait d'avoir réédité et allongé ce Live lui donne une saveur supplémentaire, et la restauration des bandes donne des résultats plus que probants. Si "Be My Friend" est le titre sur lequel "Free Live!" trouve son rythme de croisière, il aurait été criminel de se priver de ce "Moonshine" illuminé par Paul Kossoff. C'est un parfait best of des quatre premiers albums dans cette version, mais néanmoins si je dois me prononcer sur le Live tel qu'il a été conçu à l'origine, on peut avoir quelques remontrances.

La différence d'intention se sent et gêne le début du Live. En effet, si "All Right Now" était encore en rodage et en ouverture du set de Sunderland, c'est avec le premier titre joué à Croydon, "I'm A Mover" qu'on a vraiment la sensation que "Free Live!" démarre pour de vrai. Et la comparaison avec les prises laissées de côté n'est pas à son avantage, le "All Right Now" de Croydon étant incroyablement plus percutant que sa version plus vieille de neuf mois. Il faut dire, qu'à l'image de "Fire And Water", ces deux titres et l'album du même nom font un carton ; ce sont clairement les tubes du moment, et finir le concert par "All Right Now" ressemble au choix le plus évident (même si en réalité, il était suivi par "The Stealer" qui n'a pas été gardé. Et "Mr Big", paradoxalement elle aussi en rodage, possède une urgence qui lui va bien, fortement alimentée par la batterie de Simon Kirke, qui semble sonner plus lourde sur cette version. On notera tout de même, histoire de ne pas noircir le tableau et de ne pas accuser Island d'avoir bâclé le travail, que "The Hunter" en final c'était pas incohérent, le groupe ayant l'habitude de finir par une reprise (en cette occasion ce fut d'ailleurs le "Cross Road Blues" de Robert JOHNSON).

"Free Live!" est le seul témoignage de cette étoile filante que fut FREE qui disparaissait alors sous les acclamations de la foule. Un condensé finalement du meilleur du tempérament de feu d'un groupe qui sonnera plus Hard après sa reformation, mais qui était en fait tenté par une musique plus sentie et fine que ce que ses plus gros succès. Si la version originelle de huit titres de 1971 ne mérite pas plus d'éloges que cela, la version ici proposée est un témoignage indispensable, et j'aurais presque envie de dire que si vous ne vouliez qu'un seul disque pour résumer ces deux ans et demi de folie, c'est celui-ci qu'il vous faut, "Fire And Water", malgré son excellence, ne suffisant pas à résumer FREE.