Certaines œillères peuvent sembler à première vue rassurantes. Après tout, quoi de mieux que le confort des terrains balisés ? Heavy Metal = bien. Metalcore = pas bien. Pas compliqué, en somme ? La vie est sans doute plus simple vue comme cela. Alors bien sûr, peut-être passe-t-on à côté de formidables découvertes, mais si cela permet de mieux vivre, en ayant des repères bien précis, qui suis-je pour critiquer cela ? « Chacun sa voie, chacun son chemin », comme disait TONTON DAVID (je vous promets que cette citation n’est pas le fruit d’un pari perdu avec John Duff). Maintenant, autant le préciser tout de go : je ne fais pas partie de cette catégorie. Je goûte un peu de tout, picore aussi bien du Black que de l’AOR de temps à autre (voire même du Grind lorsque Positron se décide à nous faire partager ses névroses psychotiques), mû par une volonté d’explorer toutes les subtilités qu’offrent les musiques dites extrêmes. Et même si j’ai mes préférences, je m’en écarte très régulièrement.

Tout cela pour dire que malgré son rattachement au genre, ARCHITECTS fait plus que du Metalcore. Des marqueurs du style, il conserve cette voix tantôt hurlée, tantôt contée, ainsi que des riffs de guitares sous-accordés, et à l’occasion un petit breakdown posé ici et là. Mais je dirais que c’est à peu près tout. Déjà, les Anglais le font globalement mieux que les autres, avec plus de talent, plus de complexité, plus de conviction, plus d’originalité. Bref, plus de tout. Mais surtout ils ont dans leur escarcelle un paquet d’atouts supplémentaires, dont ils nous font l’éclatante démonstration sur ce sixième LP : "Lost Forever // Lost Together", premier opus d’une trilogie bénie des aficionados (même s’il y en aura toujours pour trouver ça mieux avant).

Sur ce disque, le combo de Brighton atteint un niveau de maturité qu’il ne quittera plus pour quelques années, avant de se forcer à changer la formule pour se renouveler, sortir de sa zone de confort et expérimenter (on y revient, je vous avais alerté). D’une élégance rare, la bande des frangins Searle (Dan aux fûts, Tom à la guitare) nous pond une musique classieuse, faite d’atmosphères recherchées, d’agression, de mélodies racées mais profondément mélancoliques. L’écriture des morceaux intègre généralement des passages éthérés qui permettent de se poser et invitent à la méditation de textes objectivement très au-delà de ce que l’on a l’habitude de se coltiner. Le travail sur les guitares participe franchement à cette impression de ressentir les quatre éléments (superbe "Naysayer", "Broken Cross"), superposant avec réussite de gros chugs bien plombants avec des motifs leads plus aigüs.

De l’Air il est bien évidemment question, avec ces moments qui vous font traverser les cieux, soit via un titre instrumental ("Red Hypergiant"), un pont ou une conclusion ("Dead Man Talking"). Ces interludes, tout sauf anecdotiques, constituent à présent une partie de la signature sonore d’ARCHITECTS, depuis souvent copiée (The DEVIL WEARS PRADA sur ses derniers essais) mais rarement égalée.

La Terre, pour ces martèlements rythmiques sophistiqués ("C.A.N.C.E.R" et son titre funestement prémonitoire), qui malaxent les vertèbres et broient les mâchoires. On mesure là le talent créatif de l'ami Dan. Saccadé mais jamais simpliste, le batteur allie puissance et subtilité comme peu dans cet univers de par trop balisé.

Le Feu, comme le chant habité de Sam Carter, excellent frontman, qui parvient à nous cracher sa rage au visage ("Gravedigger") en même temps que son désespoir ("Colony Collapse", "The Distant Blue"), avant de venir partager sa tristesse de façon plus calme, mais jamais convenue. Pièce rapportée à la formation d’origine (il ne rejoint les troupes que trois ans après sa création), Carter apporte clairement à l’identité d’ARCHITECTS, la sincérité de sa voix y étant pour beaucoup, dans les deux registres d’ailleurs, malgré quelques "Blegh" dispensables.

L’Eau, comme la force et l’unité qui se dégage de l’ensemble, incroyablement cohérent et consistant, tant dans le songwriting que la production, de grande qualité. Imperturbables, les 45 minutes s’écoulent irrésistiblement, balayant tout obstacle ou résistance sur leur passage, tel un flow inarrêtable.

Les connaisseurs poseront fatalement à juste titre la question de ce qui distingue "Lost Forever // Lost Together" du reste de la discographie, et plus particulièrement de ses successeurs, "All Our Gods Have Abandoned Us" et "Holy Hail". À mon sens, les trois opus sont très proches les uns des autres. Celui-ci possède éventuellement une forme de naïveté amenée à disparaître, la grande faucheuse étant passée par là pour découper la juvénile innocence (les "Hey, Hey" de "The Devil Is Near", très Punk Rock dans l’esprit). Les morceaux sont là plus instinctifs, moins travaillés, alors qu’ils seront plus recherchés par la suite, au niveau des hooks ou des chorus éventuellement, s’avérant de ce fait un poil plus aboutis.

Chacun possèdera sans doute son propre avis, mais il n’est nullement une raison de bouder son plaisir, tant ce disque possède de qualité.