Si chaque sortie studio de la part des darons de Seattle demeure un petit événement en soi, nous sommes en revanche loin de partager ce même constat lorsqu'il s'agit d'une production 'live' et ce, même si le groupe excelle pourtant à ce niveau. La raison, vous la connaissez sûrement. Depuis cette faramineuse idée qu'a eu le groupe de sortir TOUS les shows de ses tournées des vingt-trois dernières années sous forme de bootlegs officiels, une nouvelle parution parmi les cinq cent (au bas mot) ainsi pérennisées, ne peut demeurer, qu'au mieux, anecdotique.

Alors, ce "Give Way", d'où débarque t'il ? Et pourquoi nous proposer une énième entrée à une discographie live déjà conséquente ? La question, elle est vite répondue : le "Record Store Day" ! Cette incontournable et désormais imbuvable messe annuelle des amateurs de vinyles, dont le but avéré consiste - dorénavant - à surtout proposer des rééditions (forcément) limitées destinées avant tout à flatter l'égo des collectionneurs complétistes et à lustrer les bourses des scammers qui sauront flairer la manne potentielle. Si parmi les sorties estampillées "RSD" quelques-unes sont évidemment dignes d'intérêt, beaucoup de groupes répondent présents à un rythme régulier afin d'étoffer un peu leur catalogue … D’où le dépoussiérage pour l'occasion, de ce show australien de 1998 (Melbourne, le 5 Mars) méticuleusement compilé afin d'encaisser la contrainte de durée imposée par le format double-vinyle.

Sauf que… Là où un groupe dans la force de l'art aurait pu faire les choses consciencieusement, on va vite s'apercevoir que ce que PEARL JAM a cette étrange propension à osciller invariablement entre le "Et oui, pourquoi pas ?" et le "Mais pourquoi, les gars ?". Voyez plutôt…

- Abordons le contexte de cette prestation, déjà. L'Australie ? Marrant ça, le surf, le soleil, c'est dépaysant, et là-bas ils ont des souris qui sautent, les canards s'accouplent avec les castors dans l'indifférence la plus totale, les fleurs sont mangeuses d'hommes et la moindre cigale peut vous décapiter, bon trip'. 1998 ? Parfait ! Nous l'avons vu plus haut, c'est avant le passage au tout-bootleg et les témoignages 'live' pré-2000 sont donc beaucoup plus rares (en tout cas, pour qui ne désirerait pas parcourir le net par lui-même (*)). Et à y regarder de plus près, c'est en digne célébration des vingt-cinq ans de "Yield" qu'apparaît donc ce disque. Voyez ! D'un franc et sympathique "Et oui, pourquoi pas ?", ces arguments viennent se ranger dans la première catégorie !

- Sauf que - et nous nous étonnons de ne pas le voir chroniqué en nos colonnes - le "Live On Two Legs" (seize titres) se penche déjà sur cette tournée de 98 et c'était d'ailleurs à cette époque le seul réel témoignage audio de PEARL JAM en live facilement trouvable par chez-nous (**). Compilation de son état (lui aussi), pourquoi alors nous sortir deux compils live issue de la même année pour une carrière de plus de trente ans ? À classer parmi les fameux "Mais pourquoi, les gars ?

- Re-"Pourquoi pas ?" : avouons-le, ledit "Live On Two Legs" était une fabuleuse compilation d'extraits de concerts, c'est d'ailleurs ce disque qui m'a fait tomber amoureux de la bande à Vedder il y a quasi un quart de siècle. Difficile alors d'en (trop) critiquer cette volonté de vouloir en reproduire la démarche.

- Triple-salto-arrière double-vrille-piquée à base de "Pourquoi ?" : Mais quid des titres des vngt dernières années ? Avec le vraiment sympathique "Gigaton" paru en 2020, n'était-ce pas le moment, en slalomant entre pandémie, tension nucléaire et récession, de le promouvoir d'une façon ou d'une autre ?

- Et enfin, mi-"Pourquoi", mi-"Pourquoi Pas" et re-mi-"Pourquoi" derrière : m'est avis que quitte à compiler des trucs, donnons aux fans ce qu'ils veulent, dépoussiérons de la vieillerie. C'est imparablement vrai. Personnellement, je suis loin d'accrocher aveuglément (bien au contraire) aux disques s'étalant sur la décennie 2000 (entre "Riot Act (2002) et "Lightning Bolt" (2013) et je ne serais pas certain d'être emballé par un condensé-live audio de cette période (***). Reste, les gars, que vous aviez aussi sous le coude une palanquée de prestations complètement électrifiées de 91/92, d'excellente qualité sonore qui, elles, s'accordaient parfaitement aux contraintes de format. Soit.

Ces considérations mises à part, s'il est certes dommage de se trouver avec un concert amputé de neuf morceaux, c'est sur le rendu que devra s'appuyer finalement notre verdict… Et heureusement, le groupe (ou son management) semble avoir mené cette affaire avec intelligence.

Déjà parce que "Give Way" promet son lot de petites raretés cultes ("Release" en introduction, "Alive" sur lequel son aîné avait étrangement fait l'impasse) ou simplement inespérées pour ce type d'exercice, comme les fougueux "Brain Of J", "Spin The Black Circle" et "Animal" ou l'intrigant et trippant "In My Tree" (qui passe très bien l'épreuve du live). Mais ce que l'on en retiendra, c'est surtout ce génial et trop méconnu monument qu'est "A State Of Love And Trust" (initialement paru dans la BO du film "Singles" (1992)) et l'incroyablement émouvante "Immortality" (ce final !). "I Got ID" (issue des sessions "Merking Ball" en collaboration avec Neil Young auquel PJ servait de backing band sur son "Mirror Ball" (1995)) et "Faithfull" viennent compléter, les nouveautés de la tracklist par rapport au "Live On Two Legs". À noter que le son est bon, les bandes étant tirées d'une diffusion radio.

Les titres partagés avec son aîné ne sont finalement pas légion (sept en tout), mais comment se passer d'un "Corduroy" (et le riff de "Beds Are Burning" qui l'introduit ici, clin d'œil aux héros locaux) d'un "Even Flow" (son "yeaaaah!" de fin de morceau est probablement la seconde la plus intense de toute la disco des gars de Seattle), d'un "Black" ou d'un "Do The Evolution" (l'un des plus moments de bravoure de "Yield") dont c'était justement la tournée promotionnelle - tout comme "MFC" et "Given To Fly" - sans faire tiquer les aficionados ? Les versions live de PEARL JAM bénéficient toujours d'un peu d'impro et d'ajustements pour que les chansons ne soient de toute façon jamais interprétées de la même manière d'une soirée sur l'autre. Même si livrés dans des versions plus percutantes, peut-être que ces deux derniers titres, ainsi que "Hail, Hail", auraient pu être écartés pour laisser de la place à d'autres morceaux (non-)choisis.

Et là, j'ai une pensée émue et toute particulière vers "Rerviewmirror" qui se fait injustement éjecter hors du tracklisting définitif (et tout le monde sait que ça ne devrait jamais arriver dans un monde idéal). Certes, le dégraissage laisse quelques marques, comme pour "Porch" et "Indifference" qui subissent le même sort, mais globalement la redite lourdingue avec son précédent exercice de 98 est ainsi évitée en s'affranchissant de "Elderly Woman" et "Daughter" (qui me parait toujours longuette en live). Exit aussi "Wishlist" et "Of He Goes" (quelle chanson !) qui s'y trouvaient déjà aussi. C'est en fait une quasi-totalité de titres plus posés qui s'envolent ainsi, et sans doute doit-on y voir un désir de conserver une certaine dynamique et énergie pour cette compilation. Enfin, Au rang des quelques titres phares qu'on attend toujours de croiser plus 'officiellement', c'est encore raté pour "Jeremy" ou "Yellow Ledbetter" (sa face B, emblématique titre de clôture des shows du groupe) qui ne furent de toute façon pas jouées ce soir-là (mais quitte à compiler) …

Voilà pour ce "Give Way" qui, s'il ne laissait rien transparaitre de bien folichon sur le papier, s'avère constituer un intelligeant binôme au "Live On Two Legs". De la rareté, du Rock, quelques titres en commun excusables mais de toute façon franchement nécessaires, une setlist qui sans être meilleure que celle de son grand frère se veut en tout cas tout aussi intense, une belle énergie… PEARL JAM nous sort là une compil live très sympathique ! Mais une sortie néanmoins à conseiller avant tout aux amateurs curieux de découvrir ce visage des Américains en public ou de ces chansons, car il n'apportera pas grand-chose de plus à tous ceux déjà familiarisés avec cette du combo.

Note réelle : 3,5/5.

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(*) À ce titre, la chaîne YouTube de PEARL JAM est une vraie mine d'or

(**) Les 3 CDs vendus séparément du "Live In Atlanta" de 94, sont trop galère à trouver

(***) Et le "Live At The Gorge" (2006, 7 CDs) y répond partiellement, sans compter une poignée de DVDs parue entre-temps.