Les grands groupes ont-ils une âme ? Nonobstant le fait que j’ai déjà eu l’occasion de poser cette question fondamentale pour tout Nimien qui se respecte dans une autre chronique (sauras-tu la retrouver ô ami lecteur héhéhé…), et que j’ai déjà fourni de solides éléments naturellement très subjectifs à l’appui de ma réponse, je me retrouve aujourd’hui avec un album comme "Altered State", face à une œuvre qui m’envoie allègrement valdinguer dans les cordes délimitant le ring de ma conscience de petit chroniqueur lilliputien doublé d’un instrumentiste médiocre…
Car comment ne pas parler d’osmose, d’unité absolue, et osons les mots, de grâce, quand on se laisse envelopper par l’univers-continent musicalement créé par TESSERACT, et plus particulièrement celui qui marque "Altered State" ?

Loin des joyeux clichés charriés par notre télé-réalité numérique multi-canal ainsi que par nos connexions sociales, un album studio c’est d’abord un Everest de boulot, des litres de sueur, des heures au carré de répétition, d’essais, de tests, de prises, du stress en boîte, sans parler du nerf de la guerre que cela peut coûter quand les moyens sont comptés… Bref, du rugueux et beaucoup de boulot (je crois l’avoir déjà dit, mais c’est fondamental !), sans parler des sempiternelles bonnes prises de tête quand tout ne se goupille pas comme il faut ; ce qui arrive plus souvent qu’à la télé !

Et voilà t’y pas nos p’tits zicos britanniques de TESSERACT qui, pour leur second opus studio, et après avoir changé de frontman, te pondent une œuvre accomplie, d’une musicalité intégrale, absolue… intouchable. Une telle facilité effraie. Car on a ici la douloureuse impression d’une telle aisance, que la musique s’enchaîne et s’articule logiquement, sans peine, sans efforts, que ces musiciens diaboliquement virtuoses n’ont qu’à être ensemble pour parvenir à concevoir puis jouer avec une telle fluidité… Alors qu’en tant que simple mortel, cette unité artistique absolue, on la touche parfois du bout des doigts sur un enchaînement, plus rarement sur le temps d’un titre… Mais l’étaler sur toute la longueur d’un album fort de dix compositions… c’est bien de la grâce. Et c’est ici ce que nous livrent, ni plus ni moins, ces bienheureux de TESSERACT avec "Altered State" paru en mai 2013 !

Et pourtant, tout n’a pas du être rose quand, à la suite d’un premier opus studio ayant agréablement surpris la planète du Metal Alternatif en 2011 avec le bien-nommé "One", le gang djento-musical lancé par le guitariste Alec "Acle" Kahney voit pourtant son premier chanteur Daniel Tompkins quitter l’aventure alors que son style, oscillant entre passages mélodiques en voix claire et séquences hurlées magnifiant les rythmiques mécaniques, collait si bien à l’identité même de ce que TESSERACT avait eu cœur de mettre en œuvre. Pour lui succéder, c’est le jeune Ashe O'Hara (œuvrant alors au sein de la formation VOICES FROM THE FUSELAGE) à l’organe vocal clair et puissant, qui est définitivement choisi après un bref intérim assuré par Mister Elliot Coleman (ex PERIPHERY, futur GOOD TIGER) : il contribuera ainsi pleinement aux textes ainsi qu’aux compositions fixées sur "Altered State". Ce n’est donc pas un total recommencement pour ce jeune groupe talentueux, mais nombreux sont ceux qui attendent ces Anglais insolents au tournant du succès acquis avec un "One" novateur et déroutant… Ils vont être servis ! Non seulement "Altered State" n’est pas un grossier sparadrap pondu en mode économique pour faire patienter les fans en attendant des lendemains qui chantent, mais c’est surtout une magnifique suite / évolution tant artistique que musicale à ce que "One" laissait pressentir comme potentiel pour TESSERACT.

C’est donc par cette seconde étape artistique que constitue "Altered State" que nos petits prodiges britanniques nous proposent une suite évolutive à leur musique aux riffs puissants, mécaniques, dont les guitares sous-accordées (fidèlement au courant Djent), s’imbriquent de manière archi-synchronisée à un socle basse-batterie ultra véloce et diablement technique ; le tout dégageant une sonorité délicieusement agressive, d’une précision d’horloger hystérique, dont la technicité couplée à la dynamique forment une signature unique. Manifestement conçue comme une composition d’ensemble, "Altered State" s’articule en plusieurs mouvements (Of Matter – Of Mind – Of Reality – Of Energy) dont de nombreux titres sont liés les uns aux autres par des ponts rythmiques ou harmoniques. Aussi, d’une manière quelque peu plus prononcée qu’elle ne l’était sur "One", TESSERACT fait alterner ces passages puissants aux cadences marquées avec des séquences aux ambiances atmosphériques prononcées, souvent réduites à la plus simple expression instrumentale (des arpèges derrière un rideau de réverb) et qui parviennent très intelligemment à aérer une base compacte précédemment évoquée. La justesse de cet équilibre harmonieux entre ciel et terre donne toute sa valeur à la musique que TESSERACT déploie sur "Altered State".

- la Matière et l’Esprit :
Le socle hargneux et redoutablement technique qui fait l’empreinte du combo est bien présent ici : développant une texture plus mélodique (d’où sont absentes les séquences en voix hurlées chères à l’ami Tompkins), nos Djenteux préférés demeurent néanmoins fidèles à de bons tabassages rythmés parsemés de lignes groovy dont la puissance est décuplée par les très belles escalades mélodiques que nous offre la voix porteuse d’un Ashe O'Hara transcendé. Le magistral titre d’ouverture s’achevant en apothéose ou encore le redoutablement percutant "Nocturne" dont l’intensité n’a d’égal que la beauté mélodique l’illustrent à merveille. À écouter en priorité donc…

- la Réalité et l’Énergie :
Toujours soucieux de ne pas s’imposer de règles, TESSERACT va jusqu’à tâter de l’expérimentation en intégrant à son univers musical le son finalement pas si incongru d’un saxophone dont le timbre cuivré vient embellir des compositions comme "Embers" ou "Calabi-Yau" (même si la durée réduite de ce dernier m’a un peu laissé sur ma faim !). C’est donc bien une œuvre résolument dynamique et vivante que nous livre ce groupe en dépit de ce que je considère comme un léger soupçon de début de commencement de ventre mou avec le certes très varié mais justement un tantinet paumant "Singularity" dont les 8’20 min finissent par s’étirer… et perdre l’auditeur ! Car si la qualité, et la grande musicalité de TESSERACT font oublier avec bonheur le formatage habituel d’un titre bateau, l’enchevêtrement de circonvolutions peut à l’inverse s’avérer déroutant. À réécouter puis à digérer plus longuement peut-être…

"Altered State" se veut ainsi un album unique, une œuvre pleine et entière faite d’une musique à la fois massive et aérienne dont l’équilibre quasi-parfait consacre le talent et la vision d’un collectif réellement inspiré. Loin de décevoir le fan de "One", cet opus le bouscule, lui ouvre des portes et place la barre très haut en matière d’énergie, de créativité et de poésie. TESSERACT prouve ici que le succès ne l’a pas contingenté dans un style et que tout en restant fidèle à ses racines, il peut avancer et enrichir son art. Belle leçon dont certains devraient urgemment s’inspirer !

Prisonnier de la zone négative suite à la survenue d’un accident cosmique lors de mon voyage de retour sur Terre, je dérive lentement dans le non-espace à contempler les reflets des étoiles multicolores. Luttant contre la folie en me remémorant la musique puissante et envoûtante de TESSERACT, je projette dans mon esprit la vue quadridimensionnelle d’un très sévère 4/5 attribué à "Altered State" qui frôle pourtant la perfection à un micron près. Je suis serein. Les fans vont hurler et rien que pour m’engueuler, ils me trouveront… et me libéreront !

- pour la belle entrée en matière : "Of Matter – Proxy".
- pour l’esprit mélodique : "Of Mind – Nocturne".
- pour la réalité de l’expérimentation : "Of Reality – Calabi-yau".
- pour l’énergie à gogo : le reste de l’album...