Le propos de "Flood" n’est pas bien clair en début d’album, constitué uniquement d’une ligne de guitare claire légèrement rock psyché ; laquelle est doublée, triplée et quadruplée à l’aide de delay et d’écho. Un jeu presque minimaliste, totalement expérimental, finissant par dévorer des notes et faire apparaître une percussion lointaine. L’entame, réussie mais curieuse, ne laisse filtrer que peu de détails quant au but avoué de BORIS. C’est un moteur qui démarre ? Une tempête qui s’annonce ? Le flux du mascaret à l’origine du tsunami (on sait les Japonais fortement attachés à leur peur de Namazu) ? Non, c’est Superman, ducon.

Et Superman, en réalité, semble être crevé, et la tambouille sonore concluant l’introduction (notons le côté bien pédant de ce genre d’expressions) laisse très vite place à un groupe avare en notes, mais pas en sensations. On est témoin d’une ouverture à plusieurs genres à la fois, caractéristique du groupe, un toucher de guitare bluesy devenant post-rock puis ambient. On est alors tenté de trouver dans "Flood" une certaine sérénité.

Mais plus qu’une idée de repos, c’est une sensation d’accalmie qui enveloppe tout l’album, rappelant une sorte de course au son et au chaos à laquelle le groupe a aimé participer peu de temps auparavant. Mais il s’est essoufflé. Il s’est épuisé, physiquement, mentalement. Ces guitares clean qu’on entend plus d’une demi-heure n’ont pas été prévues pour évoquer la relaxation et la beauté du matin frais. Elles sont les témoins d’une lassitude et d’une impuissance face aux éléments qu’ils semblent pourtant maîtriser, d’une résignation à la quiétude, le temps d’un album, d’une quête du silence après tant de Drone, de Sludge, de Grunge. Ces styles fatiguent et "Flood" l’exprime au travers de riffs répétés infiniment, en fade away très, très discret ; pour qu’à la recherche d’air se substitue l’abandon des forces, le dernier souffle, et l’eau qui inonde enfin.

Précisément, on ne s’amuse pas ici à voir BORIS superposer des couches sursaturées, à bourdonner pour un oui pour un non, à varier des rythmes et des genres sans lien évident. Quoique l’album tende à être découpé en quatre chapitres, il ne s’agit que d’un seul et même bloc pas forcément constant dans le son -c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le morceau semble découpé, BORIS évoluant entre deux-trois sons de guitare bien distincts- mais gardant toujours en tête cette idée d’arrêt de l’univers.

Le soubresaut de vie, en troisième partie de morceau, ne laisse aucun doute à ce sujet. Sa courte durée, sa facilité d’exécution (on retrouve un Post-Hardcore très proche de PELICAN par moments) s’enchaînant parfaitement dans un schéma de mort lente, il offre le prélude idéal à une fin d’album qui traîne sur plus de vingt minutes, où tout s’affaiblit dans la paix. On assiste ainsi à des guitares résonnantes oubliant peu à peu des notes, à une basse trop fatiguée pour tout jouer, une réverbération rappelant le son de JESU s’évanouissant. Doucement, doucement, BORIS ferme les yeux.

On en sort quoi : relaxé(e) ? apaisé(e) ? intrigué(e) (non les filles, je ne vous oublie pas) ? Un peu des trois, aucun en particulier. La performance, l’expérimentation forcenée apporte ici un objet enfin agréable aux oreilles manquant pourtant un peu de corps et de folie. On n’en demande pas plus à du Post-Rock, on en demande davantage de BORIS. "Flood" est une bouffée d’air. Ca commençait à devenir urgent : ça coince sévère dans le garage des Nippons.