Un an et demi aura passé et LUNAR AURORA était de retour dans un panier de crabes noirs qui n’en finissait plus de grossir. Un scénario de rêve pour les pêcheurs (pour ne pas dire les pécheurs) de ce monde, qui n’avaient qu’à lancer leur cageot à l’eau deux minutes pour qu’il remonte bourré à rebord. Vous vous souvenez de cette époque pas si lointaine où les groupes de Black dits « crades » abondaient comme la vodka au Polit Buro ? Ah oui, elle était belle la messe noire perpétuelle.

Les Allemands, poussés par leur premier et excellent "Weltengänger", se lançaient alors dans le vide sans parachute en espérant que leur chute serait freinée par des milliers de fans en délire devant leur musique pas moins délirante. Advienne que pourra. "Seelenfeuer" ("feu intérieur") devenait le deuxième test pour eux, après l’examen d’admission réussi haut-la-main. Bon, certains diront que tous les albums sont des tests : le deuxième doit équivaloir le premier, le troisième doit montrer des signes de maturité pour ne pas que la formation sonne pré-pubère trop longtemps ou ne montre des signes de plafonnement prochain, les quatrième et cinquième sont sensés être ceux de la maturité et le sixième, celui de la consécration. Ça, c’est sur papier, c’est un peu révolu comme manière de penser, c’est technocrate et chiant. Mais comme la crème solaire, c’est pratique quand on s’en sert bien.

Un deuxième test, donc. La claque avait été trop virulente en 1996 pour que LUNAR AURORA gaspille ce talent grandiose que Satan lui-même lui a octroyé. Il s’est donc attaqué à cette seconde montagne avec un seul nouveau grimpeur, au synthé : Sindar, le plus jeune frère d'Aran. Ce dernier s’avérera un choix réfléchi de la part d’Aran et Whyrhd, parce que sa performance sur "Seelenfeuer" dépasse leurs attentes. Si bien qu’ils transformeront ce coup de chance en investissement : Sindar ne les quittera plus jamais. A eux trois, ils guideront la destinée de LUNAR AURORA jusqu’à la fin, jusqu’au magistral "Andacht". Trois mousquetaires à l’épée ruisselante de sang constamment rafraîchi, trois émissaires de violence atmosphérique.

Ceci étant dit, la table à dessin était pleine. "Seelenfeuer" serait-il aussi bon que "Weltengänger" ? Voilà la seule question qui nous tiraillait. Et la réponse s’accompagne d’un développement un tantinet nécessaire…

Plus d’ambiances, plus d’effets, un son justement plus « noisy », des guitares plus sales, un claviériste plus téméraire, sont en somme les différences entre les deux petits frères de la jeune collection de LUNAR AURORA (c’est drôle, mais quelques notes de l’intro me rappellent la trame sonore du premier "Highlander"… mais bon, le reste du skeud n’a rien à voir avec un film épique se déroulant entre deux époques, LUNAR AURORA commençait à peine sa carrière de blackeux en 1998. Or, il a aussi coupé des têtes, n’allons pas le sous-estimer…).

Le lit de cette rivière déchaîné est aussi riche en limon. Nathaniel assure toujours les fûts avec une dextérité robotique, le chant déchiré d’Aran « à la Abbath » est encore efficace et ses riffs sont enduits d’un venin mélodique indéniablement brutal. Quant à Whyrhd, son jeu nerveux (pas le choix avec ces tempos infernaux) est à la hauteur de son statut dans le groupe.

Seul bémol, le synthé, instrument central du combo. Je ne sais pourquoi, mais il est souvent caché derrière des rangées d’arbres ("Schwarzer Seelenspiegel") et ne parvient pas à nous sectionner les artères à tout coup comme s’il émettait, par exemple, d’une clairière illuminée par la sève lunaire. En cela, je trouvais le jeu de Biil supérieurement cristallin sur "Weltengänger", mais je suis peut-être trop exigeant… Sindar fait quand même un boulot exceptionnel ("Der Geist Des Grausamen") en maintenant le jeu de LUNAR AURORA à un niveau atmosphérique planant. Ce qui sera sa marque de commerce dans le futur et qui marquera les esprits à jamais.

Les Allemands offrent encore une fois six titres sur "Seelenfeuer", dont un périlleux voyage de 15 minutes, "Kerker aus Zeit", premier vrai ovni du groupe. L’expérience se répétera sur les skeuds suivants (souvent à outrance), ce morceau étant un long fleuve non tranquille. LUNAR AURORA prouve aussi qu’il est né pour surprendre et ponctue ses compos d’échantillons cosmico-psychédéliques (la très bonne "Mein Schattenbruder") et, à l’opposée, n’a pas peur d’employer les cordes sèches pour donner un côté fragile à ses bastonnades.

Ce qui résulte en un deuxième bon skeud d’affilée, une continuité logique même si dans l’art, ce concept pratique n’a pas vraiment sa place. "Weltengänger" était trop bon pour en faire un orphelin, non ? Ce gamin tout crotté sans grand frère pour le suivre dans ses campagnes assassines aurait été dur pour le cœur. "Seelenfeuer" est ce compagnon tant souhaité. Sa peau est aussi rugueuse, il repousse à des kilomètres, mais son ossature, quoique frêle, lui permet de gravir la montagne.

Note réelle : 3,5 car un brin plus faible que le tremplin des Allemands.