On sera tous d’accord pour dire que dans les années 90, le Thrash n’était pas à la fête. Mais alors pas du tout. Le genre s’est même franchement cassé la gueule : METALLICA virait subitement sa cuti, MEGADETH lui emboîtait le pas, SLAYER s’embourbait, KREATOR n’en finissait pas de se chercher, et j’en passe...
C’était Waterloo, la Bérézina, la débandade, la débâcle, la merde.

Et les seconds couteaux n’étaient pas épargnés. C’est ainsi que FORBIDDEN, qui avait réussi à se forger une petite réputation avec 2 albums de Thrash à l’Américaine assez classiques, décidait de changer son fusil d’épaule (et voyait Paul BOSTAPH se barrer chez SLAYER par la même occasion).

Autant vous le dire tout de suite : Pour aborder Distortion, vous feriez mieux d'oublier TOUT ce que vous connaissiez de FORBIDDEN. Rien que ça. Le tempo rapide, les breaks incessants, les passes d’armes dignes de JUDAS entre LOCICERO et CALVERT... Terminé, toussa.
Le groupe lève le pied, à tous les niveaux. Tempo plus lent, riffs plus simples et alourdis, moins de breaks, soli moins "traditionnels", et surtout, FORBIDDEN s’obscurcit. A ce niveau-là, ils ont mis le paquet : Distortion est sombre comme le trou de balle d’un mineur de fond.
Et Russ ANDERSON, alors ? Et bien, il s’adapte, en mettant au placard son débit rapide et ses montées intempestives dans les aigus. Il chante "en force" la plupart du temps, en éraillant et sans beaucoup moduler.
Bon, sur le papier, c’est pas très bandant, mais le bonhomme fait des efforts, là où auparavant, il se contentait de débiter son texte le plus rapidement possible. La majorité des lignes de chant sont assez tordues et on note l’utilisation quasi-systématique d’harmonies dissonantes sur les refrains. Pour faire simple : vous aimez Warrel DANE (NEVERMORE) ? Vous aimerez Russ sur Distortion.
C’est pas pour rien que je viens de citer le frontman du gang de Seattle. En effet, en écoutant l’album aujourd’hui, impossible de ne pas penser à NEVERMORE. D’ailleurs, Tim CALVERT rejoindra le groupe en 97... un hasard ? Non, on ne me la fait pas.

Allez, j’ose : Distortion, c’est du NEVERMORE avant l’heure. Voilà, c'est dit.

Mais à force de dire que FORBIDDEN a changé de peau, vous allez finir par croire qu’ils renient leurs débuts. Rassurez-vous, c’est pas totalement le cas. On trouve quelques réminiscences de l’ancien temps sur plusieurs titres, bien évidemment les plus Thrash ("Hypnotized by the Rhythm", "All that is", "Rape"), preuve que le groupe n’a pas tenu à totalement s’aliéner ses vieux fans. C’est plutôt bien joué de leur part, ces morceaux constituant une porte d’entrée évidente dans un disque qui, pour le fan de la première heure, est a priori aussi excitant qu’un strip-tease de Josiane BALASKO.
Mais ce genre de coup d’œil dans le rétro est minoritaire sur Distortion, il va donc falloir se contenter de ces références éparses et accepter qu’ici, le groupe est quasi-méconnaissable.

Mais c’est pas bien grave, finalement, parce que la nouvelle orientation est une réussite : le groupe a tenu à se moderniser, à s’assombrir, et ça marche (difficile de résister à un titre comme "Feed my Hand", avec son atmosphère lourde et son refrain de bourrin à la PANTERA).

Certes, on peut être nostalgique du FORBIDDEN d’antan et de l’aspect plus accrocheur et immédiat des 2 premiers albums (Distortion réclamant une certaine immersion), mais on ne va pas se la jouer "Non merci, sans façon, votre bite a un goût..." devant un album qui tient la route.

La mutation est un succès. Et quand on pense au nombre de groupes qui se sont plantés comme de grosses otaries bourrées à la bière sur ce genre de démarche, on peut tirer son chapeau aux gars de FORBIDDEN.