Quand on s’intéresse au vin, le truc le plus passionnant après la notion de « terroir », c’est celle du millésime. Aaaaahhhhh la vigne, quelle plante magique ! Une incroyable sensibilité à des facteurs aussi complexes que l’humidité, la saisonnalité, l’ensoleillement et les courants d’air. Ce sont l’ensemble de tous ces facteurs « externes » qui font les millésimes et qu’au final un même vin diffère d’une année à l’autre. Du coup, les Bordeaux du début des années 1990 sont dans l’ensemble assez mauvais, tandis que 2005 est un millésime simplement somptueux. Tout le monde sait ça.

Le Metal est lui aussi sensible à l’air du temps. Sans rentrer dans le jeu complexe des millésimes, les auditeurs avertis peuvent établir quelques petites règles par périodes. On sait ainsi que tel genre a commencé à décliner en telle année, tandis que le style Truc était en pleine essor à ce moment là. Bien souvent, les raisons sont plus simples à expliquer ou à comprendre que les facteurs qui influent sur le vignoble bourguignon.

Ainsi, il est de notoriété publique qu’en matière de Thrash, à partir du milieu des années 90, ça a commencé à puer sérieusement. Le niveau, excellent fin des années 80, est passé de « assez bon » à l’aube des nineties, pour basculer ensuite dans le catastrophique. Entre un METALLICA qui vire sa cuti, un SLAYER englué dans son Hardcore merdique ou encore un MEGADETH au bord de la crise d’asthme : on ne peut pas dire que c’était la joie pour les porteurs de bracelets à clous et autres Perfecto plein de patches. Sans parler de la disparition de tout un tas de groupes sympas comme EXODUS ou DEATH ANGEL. Bref, le Thrash faisait grise mine, tandis que l’Extrême resplendissait de mille feux sataniques. That’s fucking life.

Cependant, même un millésime désastreux comporte des réussites, « l’exception confirme la règle » comme le veut l’adage très con. Ainsi, le Metal a lui aussi ses « OVNIs » et son lot d’albums nageant à contre-courant. En ce sens, cet ultime album de SACRED REICH est un vent de fraîcheur façon Wizard. Vu le contexte, on pourrait presque parler de miracle avec Nana MOUSKOURI qui chante avec ses aérosols, mais ce serait pousser la métaphore un peu loin.

Heal est l’inattendue réaction d’un groupe de troisième division qui dans l’indifférence quasi-totale va ouvrir en grand une porte de salut pour l’armada Thrash de cette triste fin de décennie. Les auditeurs acharnés de SACRED REICH l’avaient pressenti tant le groupe avait un style qui les prédestinait à « ça ». Ces riffs hachés, ce chant colérique (un rien rageur), ses paroles contestataires et ce tempo linéaire… Qui mieux que SACRED REICH était taillé pour proposer le Thrash à tendance Hardcore qui tient la route ?

Donc on a un coté Hardcore (le phrasé rageur, les rythmiques, le « son » : "Who do you want to be") qui rebondit sur le Power le plus US (la gueule des riffs, le coté implacable des compos…). Autant dire que SACRED REICH respire l’air du temps à plein poumons. Ce double cadre fonctionne à merveille avec la sauce initiale du groupe, donnant parfois l’étrange impression d’écouter une B-side de Vulgar Display (Heal). Exercice qui convient comme une mitaine au groupe.

Les premières écoutes sont pourtant assez difficiles. Si l’album paraît un peu fermé de prime abord, il faut dire que SACRED REICH ouvre le bal avec le titre le plus bourrin de l’album (et accessoirement le moins accrocheur), comme pour masquer l’intérêt de son opus. Les titres s’enchaînent vite – très vite – et derrière cette « compacité » quelque peu dissuasive, il est un fait : les riffs arrachent tout. L’impression d’hermétisme et de « mastoque » qui engluait votre audition laisse progressivement place à un Thrash à la fois « catchy » et sympa, gentiment contestataire (donc attachant).

Tout ce petit monde se décline admirablement sur différents registres, on en regretterait presque d’avoir douté. Plus « panteresque » que « machineheadien », SACRED REICH affiche en 1996 une forme insolente. Si le groupe propose bien entendu des titres dans la continuité de leur « American Way » ("Break Through", "Don’t") ; les américains ont agrémenté leur Thrash « rouleau compresseur » de quelques retouches lumineuses (sans se départir de ses breaks mid tempo bien massifs). Ivre de la conjugaison des possibles, comme épris de cette liberté nouvelle, SACRED REICH va même jusqu’à s’autoriser un interlude « clin d’œil » en plein milieu de l’album, suivi du titre le plus fun de leur carrière ("Ask Ed").

Alors qu’un avis de tempête est annoncé, SACRED REICH est parti au large, jouant avec les courants et faisant preuve d’une belle audace. Cette navigation en solitaire vers de nouveaux horizons sonnera le glas du groupe.

Reste Heal, cet album inestimable et secret, qui me rappelle le travail de certains vignerons courageux qui - malgré les modes et les tendances - font de leur vin une philosophie de vie. Une cuvée d’initiés (pour initiés) que je me plais à déguster comme pour tordre le cou aux idées reçues concernant ce millésime raté.


Note : un généreux 4/5


Morceau préféré : Ask Ed
Tueries : Break Through, I don’t care
Morceau bof : Blue Suit, Brown Shirt