"Allez ! Levez les doigts, levez les doigts, tous les doigts !
Alors, on vous fait confiance ! Plus jamais de 20%. Plus jamais ! Nous serons toujours contre.
Alors à toutes les manifestations nazies ! Soyez-là ! soyez présent ! Et empêchez-les !(…)
La jeunesse emmerde le front national ! La jeunesse emmerde le front national !(…)
La jeunesse emmerde tous les nazis.
Jeunesse française. Jeunesse immigrée. SO-LI-DA-RI-TÉ (…)
La jeunesse emmerde le front…". (1)

Lorsque l’on sait que dorénavant, trente-cinq ans seulement plus tard, le premier parti pour lequel la jeunesse vote est le Rassemblement National nous sommes en droit de nous demander qu’est-ce qui a bien pu foutre un tel dawa pareil auprès d’une jeunesse auparavant volontiers candide, altermondialiste, solidaire, utopique et rêveuse…

En 2003, lorsque le label des BÉRUS (Le folklore de la zone mondiale) sort "Même Pas Mort" un double-DVD condensant les images des trois concerts d’adieu des 9, 10 et 11 novembre 1989 – auparavant sortis sur une VHS en 1991 – des interviews, des sons inédits, des clips, des démos, du karaoké, des extraits de backstage et plein de trucs cachés, assortie d’un CD sobrement intitulé Blood Party et qui comporte des versions inédites de pas mal de morceaux phares de toutes les époques du groupe, mon cœur chavira à nouveau et je m’empressai d’acheter ce cadeau tout droit tombé du ciel. Je n’avais pas eu la chance de voir cette VHS et donc des images de concert que j’avais tant fantasmées lorsque je ponçais la version CD sortie en 1990.

Au début de l’année 1989, année du soleil noir et de la mort de BÉRURIER NOIR, François arrête de bosser au BHV et fait son pot d’adieu avec tous ses collègues maghrébins, portugais, antillais qui pensent qu’il largue son taf parce qu’il a le jackpot en poche et est devenu une Rockstar. Pourtant la réalité est bien plus sombre. Les vives tensions s’amoncellent entre Loran et François qui ont une vision différente de la suite du groupe. Loran est le seul à vouloir continuer, s’accrochant à un idéal et à un mythe : celui de l’indépendance et de l’autonomie. Le succès des Bérus nuit au message profond et aux convictions intimes de la conduite artistique du groupe qui doit sans cesse se justifier. L’impasse était donc inéluctable et se rapprochait, écrasante tout en se dressant menaçante. Le procès en juillet 89 avec Bondage Records permettra à BÉRURIER NOIR de signer l’armistice du Rock et de clore définitivement l’histoire.

En cette fin 1989, les BÉRURIER NOIR font leur tournée d’adieu, d’abord en Suisse pour quelques concerts puis au Québec pour pas mal de dates et enfin pour en finir à l’Olympia pour trois soirs éternels de novembre. Christine Ockrent annoncera au 20h les adieux mémoriaux du groupe. Extrait : "Les clowns guérilleros quittent la scène (...) ils tirent leur révérence. Après sept ans de galères et deux cent mille albums vendus. Ils se séparent dans un ultime éclat de rire. Seuls, sans multinationale du disque, sans attaché de presse (…) l’Olympia sera plein à craquer (…) Destroy (…) Chaud, chaud le Rock, l’actualité aussi avec l’information essentielle ce soir, le gouvernement de l’Allemagne de l’Est a décidé de dissoudre le rideau de fer et de rendre perméable la frontière entre les deux Allemagnes". (2)

Plusieurs groupes vont assurer chacun d’entre eux la première partie d’une des trois soirées de l’Olympia. Dans l’ordre : DIE TOTEN HOSEN, LA MUERTE, LES CADAVRES. La Mort enserre donc et étreint et attend quelque part déjà le groupe… Une fois n’est pas coutume les BÉRURIER NOIR vont méticuleusement travailler leur show pour en faire un moment exceptionnel de plus de deux heures à chaque fois. À l’écoute de ces trente-huit morceaux l’on ressent que tout le groupe joue à l’unisson pour une ultime fois les titres qui ont fait sa légende. Bien conscient de cette dernière page qui est en train de se tourner, le groupe balance au public les masques qu’ils portent à chaque fin de titre, comme un ultime cadeau.

L’on connaît la suite : François continuera aussi l’aventure musicale post-BÉRU avec MOLODOÏ (1990-1996), puis les ANGES DÉCHUS (1999-2002) avant de participer à la reformation temporaire des Bérus (2003-2006). Amoureux de l’Asie, François reprendra les études et deviendra ingénieur de recherche au CNRS et historien spécialiste du Vietnam. Il est marié à une Vietnamienne et a deux enfants. Loran quant à lui participera un temps à PARABELLUM mais trouvera son rebond avec les RAMONEURS DE MENHIRS qu’il fondera avec deux sonneurs bretons au tout début des années 2000.

Après sept années d’existence, les BÉRURIER NOIR se quittent à la fin d’une décennie. Tandis que le mur de l’Est s’effondre et retrouve avec une inquiétude entremêlée d’espoir l’Ouest, et que les troupes vietnamiennes quittent le Cambodge, les années 90 vont enterrer les années 80 et malheureusement creuser le fossé de la mondialisation sous ses aspects les plus pervers. Plus jamais il n’existera cette possible anthropologie urbaine et ce mouvement de la jeunesse. En tirant leur révérence les Bérus nous ont abandonné et nous ont fait prendre conscience que s’il fallait continuer à rêver et à grandir, il nous revenait aussi de reprendre le flambeau pour rester libre.

"On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant." (René Char).
"La doctrine tue la vie." (Mikhaïl Bakounine). (3)

(1) Extrait du titre "Porcherie" contenu sur ce Live.
(2) Extrait du 20h d’Antenne 2 du 09/11/1989.
(3) Cittations extraites du livre : "Les Bérus Riaient Noir" (Archives de la zone mondiale, 02/2024).