Après un "Concerto Pour Détraqués", loquace au possible sur la condition détestable d’une jeunesse française, enfumée par l’avenir, dédaignée dans son essence par toute une société attaquante et arc-boutée dans un jugement inaltérable, le duo originel des BÉRURIER NOIR a décidé de surprendre en rentrant au studio WW du Quai de la Gare pour accoucher de ce "Abracadaboum !". Et de magie et de boum, il en contiendra !

En attendant la sortie de la future petite bombe gonflée à l’hélium qui propulsera encore davantage la comète des BÉRURIER NOIR, ce Troupeau d’Rock, collectif qui agrège une flopée d’artistes non conventionnels : la raïa (Helno, Laul, Masto, les Titis, Pascal Kung-Fou, Gaboni et n’oublions pas Dédé la boîte à rythmes), harassés par des mois et des mois de concerts qui auront égrené l’année 1986, le groupe voit de plus en plus le visage du succès se rapprocher de leurs masques. Et l’inconfort de cet effet effraie le groupe. La banda des BÉRURIER NOIR, sous les feux des projecteurs, est attendue un tant soit peu au tournant par toute une flopée de critiques. D’autant que l’édition du single "L’Empereur Tomato-Ketchup" promu et diffusé en décembre 1986, passe sur les ondes de NRJ avec un sacré franc succès. Obtenant ainsi les faveurs d’un public plus large et le concours d’autres voix parmi la jeunesse, cet hymne alternatif d’un Rock Indépendant décomplexé, marque quelque peu un tournant, et l'apparition de crispations et de grincement de dents notamment auprès de la fanbase puriste. L’écart est prononcé, sans doute trop pour ceux qui souhaitaient que le groupe reste acculé à l’authenticité underground, à la fureur dépressive Punk, et continue à faire flotter éternellement et à tous les vents l’étendard du drapeau noir. Point d’immaculé sur ce single, "L’Empereur Tomato-Ketchup", matche avec d’autres générations. Son message de rébellion fait écho aisément auprès de tous les kids et des gamins de toutes les couches sociales, des villes et des campagnes. Son propos volontiers acerbe envers une éducation nationale totalement déconnectée (hélas n’est-ce toujours pas encore le cas ?), met en avant la brisure des rêves qui grondent et la fronde des enfants qui prennent pour de bon le pouvoir aux adultes... L’utopie, toujours l’utopie, règne chez nos BÉRUS, mais elle reste intense et délicate, bienveillante et tonne cependant de manière toujours aussi juste.

Les BÉRURIER NOIR, avec ce disque brillantissime, adoptent cette intelligence d’esprit d’essayer de sublimer quelque peu leur message Punk et malaisant. Du plus sombre, exalté et dépravé d’un "Macadam Massacre", ou du plus rageux et contestataire d’un "Concerto Pour Détraqués", BÉRURIER NOIR ouvre ses bras aux causes dépassant les frontières de la rance France. L’E.P. précédent "Joyeux Merdier" avait déjà entrepris ce premier pas et mis en lumière cette main tendue à autrui. L’ouverture d’esprit et l’extrême sensibilité du groupe, conduisent Loran et surtout François à rompre quelque peu les chaînes qui les menottaient sans doute jusqu’à présent. En élargissant autant que faire se peut leur discours vers un propos moins autocentré et davantage internationaliste ("le Drapeau Mondial"), BÉRURIER NOIR sensibilise un peu plus encore son auditoire aux erreurs humaines, aux destructions morales ou physiques qu'elles entraînent, à l’indignité des opprimés de la planète bleue et à la longévité et aux résultats radioactifs de celles-ci.

Le collectif entrouvre musicalement ainsi un autre horizon de possible, et leurs compositions se font le réceptacle de la condition humaine des cultures brimées, des origines identitaires châtiées et oppressées. C’est d’autant plus criant sur des titres comme "Tzigane, Tzigane", "Casse-Tête Chinois / Joli Printemps", ou bien encore "Ibrahim". Gardant un zeste d’espièglerie et de dérision, les BÉRURIER NOIR ouvrent leurs textes et leurs mélodies au désordre mondial. Il en résulte des chansons globalement bien inspirées et surtout davantage variées. Le Punk/ Rock se meut sans se travestir vers des influences plus alternatives. Il n’empêche que malgré tout, les BÉRURIER NOIR restent ces grands frères qui portent les dernières clameurs d’une jeunesse solidaire et unie mais déjà pourtant fort éclatée et sous pression. Chantre moins noir mais plus décalé, "Abracadaboum !" reste acerbe et incisif, tape toujours là où il ne faut pas avec une rage certes contenue mais complètement authentique. L’armée, l’ignominie des effets de la guerre ("S.O.S", "Jim-La-Jungle") s’en prennent un bon coup sur le casque et que dire alors de la mitraille bien prononcée sur les politichiens de l’excellentissime "Et Hop + Macadam Circus" !