Album de la sublimation du chagrin et de la perte, "Moonflowers" est un album qui se veut à part de la discographie de SWALLOW THE SUN. Depuis sa création par le guitariste et compositeur Juha Raivio en 2000, le quintet finlandais n’en finit pas de faire pleurer son Doom/Death Mélodique. Sa rampe de lancement depuis notamment l’album "New Moon" n’en finit pas de se hisser au zénith de cieux embrumés par les pluies de la mélancolie. Et si l’album précédant ce "Moonflowers", "When A Shadow Is Forced Into The Light" (2019) se voulait comme une tentative ou un espoir d’exutoire d’une souffrance trop grande à contenir et à gérer pour Juha, ce nouvel album l’aura énormément fait souffrir.

Rappelons donc que l’ensemble de la musique de SWALLOW THE SUN est composé par Juha, et qu’en 2016 celui-ci est touché par un drame personnel. La perte de sa compagne, Aleah Stanbridge avec laquelle il avait fondé TREES OF ETERNITY, fut - on l’imagine aisément - une épreuve terrible. Si son fantôme se frayait un chemin dans chaque note de "When A Shadow Is Forced Into The Light", c’est sa présence qui transparaît dans ce "Moonflowers" aux accents transfuges désespérés de cette conquête de la mort sur la vie. Composé pendant le COVID alors que Juha ne pouvait sortir de sa maison isolée dans la forêt suédoise (là où il vivait avec Aleah), l’album transpire à grosses gouttes des larmes intérieures de Juha. Et cette beauté maladive qui ronge les entrailles est transcendée par le jeu vocal exceptionnel de Mikko Kotamäki résolument à son apogée. Écoutons ensemble des titres tels que le mirifique "Enemy" et son refrain qui arrache la douleur des tripes, sous les sanglots des violons et les leads combattant les forces enténébrées ; ou bien encore le duo splendide de Mikko avec Cammie Gilbert (OCEANS OF SLUMBER) sur le titre "All Hallow’s Grieve" déchirant et poignant de bout en bout, ou l’incroyable et saisissant titre "The Fight Of Your Life" – sans doute le plus beau de l’album – qui s’empare de notre âme et la berce au-dessus des abîmes ou sous la pluie battante d’un ciel enchagriné. Écoutez ce growl puissant, les arpèges fins et lancinants des guitares, le déchirement des émotions qui déchiquètent la raison et convoquent les tourments à régner.

Si l’album précédent en avait décontenancé certains en se manifestant avec davantage d’éléments progressifs et somme toute moins faciles d’écoute pour les puristes du Doom/Death, ce "Moonflowers" reprend les rênes pourtant de ce qui fait l’incroyable puissance de SWALLOW THE SUN et fait évoluer le groupe : le maniement de reliefs sonores délicats empreints de montées agressives et alternant entre le désespoir et la crainte de l’effondrement. Nos Finlandais renouent avec des titres pétris de beauté où les riffs cristallins des guitares s’harmonisent avec les notes de violons et des rythmes parfois impétueux, comme sur l’emporté et vibrant "This House Has No Home" aux paroles sublimes et tragiques qui échouent alternativement sous des blasts effrénés et des vociférations emplies de colère, et le chant clair de Mikko qu’accompagne un piano délicat et vaporeux.

"I curse that I feel
I feel that I cursed
All that I loved here
I buried here first
All that I love!" (*)

Cette pochette façonnée par Juha, dont ce soleil ensanglanté par son propre sang et qui fait face à cet herbier intemporel (ndlr : des fleurs cueillies au moment de la mort d’Aleah), nous montre ce deuil impossible mais qui se sublime grâce à la création. On imagine que trop peu les démons qui s’agitent, et les souvenirs douloureux, et les larmes qui ne coulent plus dans le cœur de Juha. Rarement un album n’aura sorti autant d’émotions de ses entrailles. Juha s’il n’est plus que l’ombre lui-même physiquement, a décidemment un génie musical qui force le respect.

(*) Paroles tirées du titre "This House Has No Home".