Les boomers nous auront quand même laissé une belle pagaille. Non contents d'avoir profité d'années glorieuses de plein emploi, de liberté sexuelle et autres développements économiques et artistiques fabuleux, ces connards pourri-gâtés passent leur temps à faire la leçon à leur descendance. Ces grosses couilles bien grasses suintantes d'excès ventripotent sur des réseaux sociaux qu'ils ne maîtrisent pas, avec une orthographe qu'ils ne domestiquent pas non plus, et conchient ma génération de millenials, qualifiée de feignasse, ainsi que la fameuse Gen Z, encore plus répugnante à leurs yeux. Il faut dire qu'entre les grosses insupportables aux cheveux bleus, les non-binaires, les néo-féministes misandres ou encore les incels qui suintent la graisse sur leurs claviers, il y a de quoi attendre une nouvelle guerre avec impatience ! Mais il faut aussi rendre à César ce qui est à César. La Gen Z évolue dans un monde dans lequel l'économie est pourrie, les relations homme-femme de pire en pire et les repères les plus élémentaires brisés par les attardés de la déconstruction. Ce qui pouvait encore faire ciment, soit l'idée de peuple, voire de nation, est révolu : il reste désormais des communautés disparates, des appartenances à des microcosmes auxquels on se rattache avec espoir. Microcosmes qui vont de la vulgaire appartenance ethnique à la religion, en passant par les geeks, les LGBT ou désormais les bords politiques les plus crétins type MAGA. Il est dès lors peu étonnant que ces jeunes soient en perte de sens et qu'ils construisent foule d'identités nouvelles pour pallier à ce vide ontologique. Il est aussi peu étonnant que l'art soit imprégné de cette ambiance et, partant de ce constat, HEALTH est un pur produit de sa génération.

Croisement explosif entre l'Indus inspiré par NINE INCH NAILS, la Synthwave façon PERTURBATOR ou l'Électro-Goth façon CHELSEA WOLFE, HEALTH est un groupe qui a une identité singulière. Ce n'est pas pour rien qu'il trône dans les projets les plus suivis et appréciés de notre époque. Projet pour hipsters diront certains, et on ne pourrait leur donner tort. Mais ce serait mettre sous le tapis un talent véritable. Ce qui frappe d'emblée chez HEALTH, c'est son chant, caractéristique d'une vibe qu'on appelle communément sad boy sous les cimes anglo-saxonnes. On pense à CHELSEA WOLFE oui, mais aussi à BILLIE EILISH ou LANA DEL REY. La voix est lancinante, monotone, blasée. Elle correspond à tout mon paragraphe introducteur. Les textes eux-mêmes ne transpirent pas la joie de vivre. Et de toute façon, l'atmosphère dégagée par HEALTH sent bon le futur peu jouasse, à mi-chemin entre Cyberpunk 2077 (pour lequel ils ont écrit un titre par le passé) et Her. Un morceau comme "Future Hell", avec son beat implacable, incarne la force de frappe d'un groupe qui exsude l'angoisse de l'avenir et que dire de "Sicko", basée sur un sample de "Like Rats" de GODFLESH, torturée et envoûtante ? HEALTH assume ses influences, joue avec le feu, et transforme l'essai haut la main.

"Rat Wars" comporte sans mal son lot de bangers imparables. Loin, très loin de se complaire dans une vision trop Doom, HEALTH aime l'action, mais celle qui prend le temps de s'installer dans un écrin bien noir, comme le "Drive" de Nicolas Winding Refn. Ainsi "Children of Sorrow" brille-t-elle avec son riff Metal efficace et son refrain superbe ou encore "Hateful" qui puise dans un rythme Techno et une aura Horrorwave pour mieux enfoncer son auditeur. Quand HEALTH arrête le massacre et se donne pour mission de poser les armes, la réussite n'en est pas moins éclatante, comme ce "Ashamed", magnifique titre très Pop au refrain ensorcelant. Mais la palme revient à "Don't Try", qui conclut l'album sans la moindre batterie, dans une Dreamwave improbable, absolument magique, la guitare rappelant le meilleur d'un Post Punk à la TEMPLE OF ANGELS, le chant envahissant l'espace de toute sa beauté.

Groupe de hipsters ou pas, inutile de cacher la vérité, on tient là un des meilleurs albums de l'année 2023 mes amis, et de loin. Non seulement HEALTH signe là un album racé, sans failles, mais il se permet en plus d'incarner sa génération, avec ses angoisses, ses questionnements et sa vision de l'avenir peu ragoûtante. On écoute HEALTH comme on lit "Le meilleur des Mondes", on se perd dans "Rat Wars" comme on se perd dans "Blade Runner" : avec une fascination morbide, un plaisir étrange et l'idée qu'on tient peut-être là le futur de notre espèce. Mais si ce futur est imprégné du son de HEALTH, la pilule passera peut-être un peu mieux.