Le travail paie / le travail tue.
"Drone Corpse Aviator"

Dans ce digne film de science-fiction gore, à la fois canonique et novateur, glaçant et rigolo, le groupe se présente en train de jouer dans un laboratoire de savants fous, attachés ou branchés jusque dans les muscles, mi cobayes prisonniers mi marionnettes dopées, poussés à jouer toujours plus vite jusqu’à fondre ou exploser.
Le clip commence sur un lent travelling avant vers le batteur qui martèle ses fûts avec fulgurance, droit comme un i, les muscles tendus, le visage contracté (on sait que Spencer a dû développer une technique de respiration en continu afin de pourvoir supporter l’effort sur une longue durée). Tous les potards et instruments à fond, dans une intention de tous converger dans la même direction, de ne plus faire qu’un. Ce que l’on perd en discernement entre les instruments on le gagne en force de frappe. Quand ils s’y mettent tous on a l’impression d’avoir la poitrine écrasée. Comme s’ils étaient passés aux choses sérieuses.
On en prend plein les yeux et on se marre bien, même avec les dents du fond qui baignent, tout en se disant que nous, spectateurs-voyeurs, sommes un peu comme ces scientifiques tortionnaires qui poussent les musiciens à en faire toujours plus, dans un désir morbide de faire exploser les limites.
Se hisser au sommet du Tech Death a un prix, soyons-en conscients.

Coolitude du nerd
"Golden Mouth Of Ruin"

ARCHSPIRE a fait de sa technique hors du commun un produit d’appel, on vient pour le spectacle ébouriffant des bêtes de foire surhumaines, parfaitement conscient qu’ils vont nous éblouir. La première vidéo sortie, "Golden Mouth Of Ruin", racole large et semble dire "c’est ça que tu veux, hein, ouais je sais que t’aimes ça." Tout est basé sur leur principal atout : voir le groupe jouer, sans fioritures, si ce n’est un montage adéquat. Pas de décors ni de mise en scène, à part quelques fumigènes et une couleur d’ambiance par musicien. Et c’est un spectacle en soi. Le rap growlé supersonique du chanteur, les riffs en tapping conjoints des deux guitares ET de la basse. Et la batterie, qui reste l’attraction principale, prouesse de technicité et d’athlétisme. Rien de tel que de les voir jouer pour réaliser à quel point leur musique dépasse l’entendement et trembler devant tout ce travail de fourmi maniaque rendu sexy-chaud.

Coz’ this is Thriller
"Bleed The Future"

Une boite de nuit branchée où l’on distribue des casques de Réalité Virtuelle, les membres du groupe en jet-setters ringards, une bimbo se transformant en alien monstrueux qui empalera à tout va et l’éternel mec qui vient nettoyer le carnage à la serpillère durant le générique de fin, tel est le programme de "Bleed The Future", troisième vidéo clip sorti en juillet 2023, financé par le truchement d’un crowdfunding dont le leitmotiv était de "réaliser le clip de Death Metal le plus fou de tous les temps", et étant donné la quantité d’argent récoltée (preuve de la passion de ses fans) c’est aussi la vidéo de Death la plus chère de l’histoire. Promesse tenue tant l’œuvre décoiffe.

Comme tous les groupes qui vont marquer l’Histoire, ARCHSPIRE est la quintessence de son époque, une époque sur le fil entre le relativisme et l’ironie du post-modernisme et l’espoir et la sincérité du modernisme, ce que l’on appelle "meta-modernisme", ou comment être post-cool tout en état potacho-génial et connecté à ses auditeurs par des cascades de clins d’œil au quatrième degré, private jokes que les fans, qui suivent leurs activités sur la toile, saisissent.

Le spectacle de leurs prouesses techniques, largement hors de portée pour le commun des mortels, n’est pas mis en scène à la façon des Rock stars de jadis, demi-dieux androgynes de paillettes explosives, que l’on regardait du dessous. Les cinq musiciens inventent une manière d’être à la fois simple, sans filtre, pleine d’autodérision, paraissant incroyablement proches, nous invitant à rigoler avec eux, comme des potes, le prestige de leur incroyable travail de musicien étant encore renforcé cette camaraderie 2.0. Une chose permise par l’horizontalité des réseaux sociaux.

Nos Canadiens peuvent jouer en short de bain sur scène et rester totalement crédibles, et se moquer d’eux-mêmes comme dans ce troisième clip paroxysmique. Oli se grime en rappeur, multiples bijoux, coupes de champagnes et biatch. Spencer vit et meurt par son Juno Award qu’il ne lâchera jamais. Tobi, mafieux en survet’, se goinfre de pasta sous une pluie de parmesan au ralenti. Dans son complet jean de petit mignon inoffensif, Dean ne parle que de jeux de rôle à un Jared en col roulé et brushing qui ne regarde que son téléphone. Ils finiront tous empalés salement sur les tentacules de la bimbo-de-boite-de-nuit transformée en alien immonde tel un arbre de Noël gorissime.

C’est la deuxième fois qu’ils mettent en scène leur mort spectaculaire et sanglante.
Dans le mythique clip de « Thriller » qui invitait le cinéma dans la chanson, Michael JACKSON prophétisait sa future transformation en mort-vivant, la chirurgie esthétique infinie remplaçant puis prolongeant le maquillage de film d’horreur.

Qu’il soit formulé plus ou moins inconsciemment, le message que nos chers Canadiens nous fait passer est là, le chemin du Tech Death finira mal. Profitons du spectacle.