En août 2023, BUCKETHEAD a sorti quatre cent quatorze albums studio(*). Rien que cela. Il faudrait une carrière à un chroniqueur moyen de NIME pour en venir à bout, si tenté que ses capacités cognitives puissent absorber tout le travail de l’homme au seau renversé sur la tête. Et aujourd’hui, nous allons donc en chroniquer 0.2%, et pas des moindres.

Car avant de s’attaquer à ses "Pikes" aux qualités… variables dirons-nous, Big B nous a produit quelques merveilles d’horizons divers, très atmos comme "Colma" ou "Electric Tears", très virtuoses comme "Enter The Chicken", ou déjà assez avant-gardistes avec "Giant Robot". Ce "Crime Slunk Scene" ("CSS") pourrait entrer dans une catégorie très… BUCKETHEADienne dirons-nous. En effet, cet album contient l’essence de ce que sait faire de mieux le grand chevelu mystérieux : créer de l’émotion, shredder comme un malade sur sa Les Paul blanche pimpée comme une bagnole tunée, et tenter des morceaux totalement dénués de sens aux sonorités expérimentales et très décousues. Développons cela.

Concrètement, "CSS" tient en deux actes avec une césure au milieu. La première partie est un florilège de licks agrémentés de son fameux usage frénétique du killswitch, coupant très brièvement les notes jouées et donnant un effet robotique aux sonorités, en l’additionnant à l’effet whammy. Les atmosphères créées sont parfaitement distinctes entre les morceaux interprétés, et là réside le génie du type. Il parvient à dessiner une ambiance feutrée sur "The Fairy And The Devil", glorieuse sur "King James", ou encore Funk-Bluesy sur "Gory Head Stump 2006: The Pageant Of The Slunks". Point besoin de paroles ou d’orchestre outre mesure, une boîte à rythmes, un semblant de basse, et la magie opère par le biais de passages catchys et de soli made-in-Bucky reconnaissables entre mille.

Vient ensuite le fameux hémistiche, le monument "Soothsayer", tube parmi les tubes sur les quasi 2300 chansons que nous propose à ce jour BUCKETHEAD. Une parenthèse de neuf minutes tout en allégresse, à l’apogée de la sensibilité qu’est capable de traduire la musique à l’instar de "Transmutation 5 (Ascent)" de PRAXIS, autre groupe dans lequel il officie, sorti la même année et avec les mêmes connotations vaporeuses.

Difficile de succéder à un tel ouvrage, et l’imprévisible gaillard va d’ailleurs s’en donner à cœur joie sur la seconde partie de "CSS", en basculant sans palier de décompression vers des titres beaucoup plus expérimentaux, façon cabinet de curiosités, dont seuls les plus tolérants et aguerris à l’esprit torturé de BUCKETHEAD pourront en apprécier l’essence. La déconstruction absolue des morceaux, les sonorités fantaisistes et l’atonalité ambiante sont autant d’éléments rédhibitoires pour le commun des mortels, desquels il faudra simplement s’en tenir à apprécier la chaos et la technicité, toujours aussi démentielle, du prolifique personnage (mention spéciale pour "Slunk Parade a.K.a Freaks In The Back", totalement indescriptible).

"CSS" n’en demeure pas moins une entité indispensable dans la très (trop) longue discographie de BUCKETHEAD, à écouter impérativement pour sa culture d’auditeur accompli, au moins jusqu’à "Soothsayer" pour les plus frileux.

Note réelle : 3,5/5 même si la tentation est forte d’aller au-delà, mais à relativiser au regard de l’ensemble de l'œuvre.

Morceaux préférés : "Soothsayer", "Gory Head Stump 2006: The Pageant Of The Slunks", "King James".

Point pochette : je fais mieux avec Photofiltre.

(*)Je passe volontairement sur les 151 Lives, 5 démos, 46 singles, 12 EP et 3 compils, au risque de ne pas être suffisamment exhaustif !