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AHAB - The Coral Tombs (2023)
Par WËN le 2 Septembre 2023          Consultée 1825 fois

À chaque œuvre suffit sa source.

C'est ainsi qu'en fiers harponneurs des tumultueux océans du Funeral Doom, les gars de AHAB, avides amateurs de toutes mythologies marines liées aux grands-fonds et des terreurs qu'elles ne manquent d'engendrer en leurs fiévreux ressacs, vont de nouveau s'atteler à l'ouvrage sitôt leur embarcation en cale sèche, à l'entame de l'automne 2022. En cette morne saison propice aux lectures tandis que dehors, fouette la tempête et mugissent les vents côtiers, nos quatre navigateurs vont fureter dans leur bibliothèque à la recherche de l'ouvrage, justement, duquel ils sauront puiser l'inspiration pour leur disque en devenir. Les récits maritimes de Melville, de Poe et d'Hodgson écumés (et volonté mise à part de s'accommoder de trop antiques mythes nautiques), il leur reste pourtant un ultime et évident subaquatique pavé à jeter dans la Mare Nostrum.

Ce pavé, roman (d'aventures) qui a tant hanté qu'émerveillé plusieurs générations de lecteurs de tous âges depuis près d'un siècle et demi, c'est bien sûr le "Vingt Mille Lieues Sous Les Mers" (1869) de Jules Verne (*). Hasard du calendrier, nous étions justement immergés dans les quelques six cent pages de notre édition, médusardant entre les ruines englouties de l'Atlantide et sous les immensités glacées du continent austral, lorsque les Allemands annoncèrent le thème de leur cinquième concept. Un - nostalgique - revisionnage de la version cinéma de Disney (1954, de Richard Fleischer, avec James Mason, Kirk Douglas et un Peter Lorre à contre-emploi) et vous nous trouviez fin prêts, quitte à en avoir plein les doigts, à vous décortiquer la carapace en tôles d'acier de ce "The Coral Tombs". D'ailleurs, contrairement à son "The Call Of The Wretched Sea" de premier album qui s'inspirait davantage de la trame cinématographique de "Moby Dick" pour baser son concept, c'est cette fois-ci bien sur le roman - avec le capitaine Nemo en principal protagoniste - que se base AHAB (l'ordre des scènes mémorables sélectionnées ayant été réarrangé à sa discrétion).

Bref, à peine le bestiau se trouve-t-il vautré dans nos poissonneux étals que le pari qu'il a à relever est déjà conséquent. Car en assidus nautoniers de nos colonnes vous vous souviendrez que "The Boats Of The Glen Carrig", de plus de sept ans son prédécesseur, ne nous avait que peu convaincu, la faute à ces rafiots rafistolés qui lui servaient de trame et qui, certes, s'ils tenaient l'eau, demeuraient trop dépareillés entre eux pour faire appareiller notre attention vers de quelconques océans lointains.

… Pas le temps de tergiverser ici, car les tribulations du professeur Aronnax sont déjà entamées au moment où AHAB nous plonge au cœur de l'action, dans le méandreux sillage du Nautilus, alors que ce dernier perfore déjà la frégate Abraham Lincoln ("mais dites donc, ça fait deux fois qu'vous m'faites ça"). En effet, nulle longue et clapoteuse digression pour servir d'introduction à ce cinquième opus, irréaliste de brutalité sur sa première minute. Percutante et assommante, menée par Chris d'ULTHA en improvisé timonier de circonstance, celle-ci suffit à faire passer par-dessus bord Aronnax et sa clique qui tentent de se raccrocher à ce qu'ils peuvent pour, en nous halant par le bras, pénétrer plus avant dans la carlingue étriquée qui se présente comme seule échappatoire…

Passé cette courte joute nautique qui en aura étonné plus d'un, nos anciens mariniers, vont hardiment ramer vers des eaux moins agitées et plus coutumières de nos émois océaniques, en sachant becqueter ici et là dans certaines de leurs précédentes pêches miraculeuses. Ainsi, le submersible se laisse engloutir, le temps d'accalmies propices à l'observation d'une faune pour le moins atypique et de paysages extraordinaires (que savait si bien nous dépeindre Verne à son époque, mais ici mis à l'honneur par de savantes leads planantes disséminées çà et là ou via le doux roulis procuré par les plus apaisants moments de "Colossus Of The Liquid Graves", ou de "The Sea As A Desert" en son milieu, par exemple). Pour peu que le chant clair, hanté d'un désespoir palpable, soit de la partie de pêche, c'est la longiforme et émaciée silhouette de "The Giant" (2012) qui viendra plus d'une fois toquer au hublot ("The Sea As A Desert", "The Mælstrom").

À l'inverse, AHAB n'oublie pas de quelle sordide rade il a su s'extraire, et lorsque son caractère résolument trempé à même les plus suintantes fonderies côtières reprend le dessus, grunts d'outre-fond à l'appui, il sait se montrer implacable et nous rappeler qu'il est la seule "Divinity Of Oceans" (2009) à commander en ces eaux ! "Mobilis In Mobili" qui, passé son introduction, se tourne vers un Doom/Death brutal et sans concession, ou encore les guitares saumâtres et le terrifiant riffing de "Colossus Of The Liquid Graves" qui va et vient au gré des marrées chaotiques, sont autant de tangibles preuves de sa volonté certaine à vouloir nous faire basculer dans le grand bain salé de son de Funeral Doom. Car en termes de profondeurs inexplorées et d'autres joyeusetés abyssales, "The Coral Tombs" se pose là, sur un lit de mort sablonneux avec le corail pour seul sépulcre.

À ce titre, AHAB sait se faire hypnotique, tanguant d'un bord, puis de l'autre, pour soudain nous surprendre, au détour d'un cauchemardesque pli de partition. "The Sea As A Desert" en improbable mixture Stoner-Funeral ou la plus progressive "Ægri Somnia", extrêmement écrasantes par les masses pélagiques sous lesquelles elles savent nous immerger, ne laissent dans leurs digressions les plus fangeuses que de rares rais de soleil nous parvenir de la surface et nous redonner un semblant de vitalité. Et pourtant, pour chacun de ces derniers, si pâle soit-il, l'envoûtant spectacle qui se découvrira alors à nous en de fascinantes mais abominables révélations - comme seuls savent en regorger les grands fonds marins - vaudra alors à lui seul d'abandonner la vie prolixe de la surface pour une existence d'ermite sous-marin.

Au fur et à mesure que voguent Nemo et son équipage vers un funeste déroulement, nous remarquerons que subtilement, les tempi s'affaissent, les océans s'obscurcissent, les raies-guitares rasent le fond… pour aboutir en un fatal "The Mælstrom" qui, via les plus gutturaux râles bardés d'effets de Greg d'ESOTERIC, sonnera ainsi le glas à la plus fantastique aventure maritime en engloutissant le fabuleux submersible (**). Mention spéciale aux ultimes vociférations de Nemo à l'encontre des éléments déchaînés, saisissante épitaphe subitement avalée par de vindicatrices lames de fond. Un Nemo, incompris défenseur des opprimés, qui dans le contexte sociétal de notre époque, devrait plus que jamais avoir une certaine résonance.

Décidément, les crasses fumeroles du précèdent disque semblent définitivement loin derrière AHAB. Et ce n'était pas gagné à l'entame de cette cargaison, tant celle-ci nécessita son lot d'écoutes pour s'en laisser espadonner les insondables mystères. Si bien qu'avec le recul - à la rare exception de "Prof. Arronax' Descent Into The Vast Oceans" d'où se dégage une persistante et désagréable impression de s'achever en queue de baleineau via un grossier fade-out - nous avons bien du mal à mettre la main sur ce qui nous déplaisait tant de prime abord. Peut-être la façon dont il a été composé - puisque débuté en plein confinement - laissait-elle entr'apercevoir quelques malheureuses transitions, mais une fois la bête domptée, c'est au contraire peut-être le disque le plus homogène des Allemands depuis leur première chasse de 2006, là où les autres disques s'appréhendent davantage sous forme de chansons distinctes, plutôt qu'en une trame globale.

Enfin, n'en déplaise à ses plus intransigeants détracteurs, la formule proposée ici remet plus que jamais en avant le terme de Nautik Funeral Doom qui au final n'était surtout valable que pour son album original (***). Avec ce Doom des tréfonds qui reprend ses droits tout en laissant une place de choix à quelques bouffées plus oxygénées d'un espoir tout relatif… Nous retrouvons cet AHAB qu'on aime, celui qui a le bulot qui lui colle au hublot.

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Aparté pochette : Sebastian Jerke en poste depuis "The Giant" a abattu un travail magnifique. Cette pieuvre fantasmée en une cyclopéenne scaphandrière, bergère éborgnée, règne sur ses troupeaux en Polyphème de ces eaux poissonneuses, et à l'instar de son mythologique modèle, se laisse berner par un Nemo (le latin pour "Personne" qui servait justement de nom d'emprunt à Ulysse lors de son passage sur l'île aux cyclopes) en pleine odyssée vengeresse.

Aparté collector : sans surprise, cet OFNI est forcément décliné en plusieurs éditions, avec une mention toute particulière au coffret vinyle "Die Slow" (tout un programme) comprenant, outre quelques goodies tels qu'une feutrine et un livret présentant un making-of de la pochette, la tant attendue réédition (pour qui ne souhaitait pas débourser plus de 150€) de "The Oath", la première démo des Allemands.

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(*) J. Verne et E.A. Poe dont s'inspire AHAB sont d'ailleurs davantage liés qu'on pourrait bien le croire, puisque le premier sera l'auteur en 1897 du " Sphinx Des Glaces", la suite des "Aventures d'Arthur Gordon Pym" écrit par le second (qui servi de source à "The Giant").

(**) Tout du moins ici, puisque dans "L'Île Mystérieuse" (1875), bref…

(***) "The Divinity Of Oceans" nous livrait de lourds relents Death/Doom en nous laissant agoniser en surface, alors que "The Giant" n'était plus guère taxable de Funeral, malgré toutes ses qualités.

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- Daniel Droste (chant, guitare)
- Christian Hector (guitare)
- Stephan Wandernoth (basse)
- Cornelius Althammer (batterie)
- Chris Noir (invité, chant #1)
- Greg Chandler (invité, chant #7)


1. Prof. Arronax' Descent Into The Vast Oceans
2. Colossus Of The Liquid Graves
3. Mobilis In Mobili
4. The Sea As A Desert
5. A Coral Tomb
6. Ægri Somnia
7. The Mælstrom



             



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