Martin Lopez a besoin d'espaces pour s'exprimer autant verbalement que musicalement d'ailleurs. Lui qui peut dire très simplement qu'il n'a plus reparlé à Mikael Åkerfeldt depuis son départ d'OPETH ou que les groupes qui jouent avec des samples perdent de vue l'essentiel : jouer ensemble plutôt que de suivre un ordinateur. Une réflexion intéressante par ailleurs. Il faut dire que la musique de SOEN est écrite dans cette optique ; elle doit rester vivante, organique, de manière à dégager des espaces pour l'interprétation.

Après un "Lykaia" un peu décevant au regard des belles dispositions affichées sur les deux premiers albums de la formation, SOEN revient aux affaires avec un nouveau guitariste canadien sous le bras qui aura eu le temps d'apposer sa patte sur un album déjà composé par le duo Lopez/Ekelöf. Et autant casser le suspense tout de suite, "Lotus" est un retour en très grande forme !

Un peu plus produit que ses prédécesseurs (le travail de David Bottrill, l'homme derrière le son du "Lateralus" de TOOL), ce quatrième album en sept ans maximise le potentiel de SOEN sur chaque titre. Les côtés TOOL sont bien présents, notamment sur "Covenant" avec sa basse turgescente, mais la facette plus contemplative des Suédois, celle qui évoque autant ANATHEMA que PINK FLOYD, est de la partie également. En cela la pièce-titre est une expérience émotionnelle délicate, parfaitement servie par un Joel Ekelöf qui prend des accents à la Daniel Gildenlöw pas désagréables du tout. Par ailleurs, je suis souvent assez surpris qu'on n'évoque jamais la parenté de la musique aventureuse et très sensitive de SOEN avec celle de PAIN OF SALVATION même si les deux formations ont leurs différences.

"Lotus" s'impose à vous sans que vous n'y prêtiez attention. Il alterne de la plus belle façon les différentes facettes de la musique du groupe (pour laquelle je nourris une passion depuis ma découverte assez tardive de leur art, sans quoi vous auriez vu paraître ce disque en Sélection du Site), ainsi que les humeurs. Il y a de la mélancolie, du spleen, de la sensibilité pure (la retenue de "River" est à cet égard un tour de force de la part de Joel Ekelöf). Et tout cela se traduit en musique. C'est assez flagrant dans le jeu de batterie toujours libre et musical de Martin Lopez qui va appuyer parfois la frappe ou la bonne cymbale pour mettre l'accent sur un mot, une idée, une sensation. Mais c'est également le cas de Lars Åhlund, qui en allant chercher des sonorités organiques (orgue Hammond, mellotron) contribue à la profondeur du discours. En suivant les textes avec la musique c'est assez flagrant de ressentir à quel point le souci du détail est poussé.

Si "Lykaia" mettait l'accent sur les sons clairs et les ambiances, "Lotus" propose tout ça en mieux, mais aussi des titres plus nerveux, portés par des riffs poussés à un niveau de lourdeur optimal, grâce à une basse proéminente (tradition héritée de l'époque Steve DiGiorgio), qui comme chaque élément musical de SOEN se rend indissociable du rendu final d'une composition. Non pas écrit sur la route comme son prédécesseur (enfin seulement en partie), "Lotus" est un album qui a été écrit, repris, réécrit, jusqu'à ce que chaque morceau atteigne son plein potentiel.

Difficile à classer, entre l'Alternatif, le Progressif au sens noble, et le Metal Atmosphérique, SOEN pratique, comme aime le définir Martin Lopez, le style à la TOOL, tout en parvenant à y apposer sa propre patte avec classe. "Lotus" est un album dont la musique qui sort des enceintes est quasi palpable, un phénomène rare que l'on doit à la fois à l'épuration de ses arrangements, à sa musicalité débordante, et à sa façon de rendre sa musique la plus vivante possible. Si comme moi vous ne connaissiez pas SOEN avant, commencez votre pèlerinage par "Lotus". De mon côté j'ai écouté les deux clips, avant de me faire "Cognitive", mais ça marchait aussi. Une formation décidément étonnante.