J'ai eu un coup de foudre terrible pour ce groupe avec "16[485]". Ce Black moderne allemand n'avait pour moi aucun défaut, même si la longueur m'avait paru exagérée. Mais bon, les groupes qui aiment étirer la sauce le font souvent pour les bonnes raisons et AGRYPNIE, sur ses deuxième et troisième albums nous balançait de solides compos bien mélodiques pendant plus d'une heure. Un Metal urbain, organique, à la facture synthétique limitée mais omniprésente, produit avec grand génie pour le transformer en joyau typiquement moderne sonnant comme un brontosaure en tuxedo. "Aetas Cineris" allait-il poursuivre la lancée victorieuse ?

Force est d'admettre que le procédé commence à s'essouffler un peu, ça me peine de l'écrire. Moi qui suis friand à l'occasion de ce genre de Black propret, je n'ose pas m'avouer qu'AGRYPNIE abuse ici de notre patience avec un disque frôlant les 80 minutes, dont au moins 25 auraient pu être biffées sans que ça change quoi que ce soit. À commencer par l'instrumentale de huit minutes "Kosmos", dont on se serait passé, les longues minutes de trop au début et à la fin de "Dezember" et celles des deux dernières pièces, qui nous font grogner d'impatience (alors que leurs parties offensives sont si bonnes !). Que de temps perdu en vaines contemplations, quand le début du disque nous avait en général fait oublier ces trois années d'attente avec des morceaux de qualité comme "Trümmer" et la féroce "Gnosis".

Les Allemands arrivent toutefois à dresser encore une ambiance subtile entre dépression et espoir, ce qui sublime l'ensemble de leurs compos depuis leurs débuts. On tangue constamment entre ces deux émotions. En même temps, la production ne nous endort pas et le combo ne se la joue pas trop dramatique en variant les tempi, alors qu'il aurait tellement pu accentuer la puissance de ses mélodies, qui nous blessent à chaque fois. Oui, "Aetas Cineris" aurait pu être taxé de lourdaud en foutant des claviers lyriques partout ou des chœurs, mais il a au moins évité ce projectile. Je vais me contenter de dire qu'il s'est perdu en cours de route en essayant de nous toucher profondément.

AGRYPNIE fascine quand même encore avec son Black en acier trempé dans la mélancolie et la colère. Or, la recette commence sérieusement à manquer de punch. Les moments forts sont moins nombreux que sur les galettes précédentes et surtout, l'impression d'unicité du skeud, qui m'avait tant marqué sur "16[485]", est aux abonnés absents sur "Aetas Cineris". Le résultat ne suit pas l'ambition débordante et le talent indéniable du groupe pour les pièces épiques. Le coup de foudre a laissé place à un sentiment de semi vide, de redite et d'espérances fracassées. De la note parfaite, on perd ici deux ailes, ce qui renforce mon amertume.

Mais on passe encore un bon moment, "Aetas Cineris" contient de très réussies pièces pour compenser les faux pas. AGRYPNIE n'a pas son pareil pour infliger de violents coups de fouet. Les bonnes notes qu'il a reçues pour cet effort le prouvent, mais pour moi, c'est une parenthèse qui s'ouvre dans la discographie du groupe et qui, je l'espère, se refermera avec le prochain album. Pour cela, les Allemands devront couper dans le gras et miser sur le muscle plutôt que le vaporeux.

Un gros 3 pas volé.