"Toute saga a un commencement", nous annonçait fièrement George Lucas au moment de sortir "La Menace Fantôme", en 1999. Celle de FAITH NO MORE ne déroge pas à la règle, et "We Care A Lot" en représente son premier cri, celui du nouveau-né. Majestueusement snobé de nos jours, il n’en est pas moins essentiel pour saisir l’ADN de la formation culte de San Francisco, qui préfigure dans une certaine mesure de l’histoire à venir : excentricité, cynisme, mélange des genres et des influences, noirceur dépressive sur fond apparent de je-m’en-foutisme, tout y est déjà, ou presque.

D’ailleurs, en parlant de Star Wars, on peut clairement faire le parallèle avec la discographie des Américains : une trilogie centrale, intouchable de qualité, d’inventivité, d’efficacité qui ne sera pas égalée, ni par la prélogie, ni par la suite, encore incomplète pour ce qui relève des Américains. Tout le monde sait que les épisodes 4, 5 et 6 sont les meilleurs. Et de loin. Même si le troisième chapitre relevait largement la sauce de ses prédécesseurs, dans les deux cas d’ailleurs. "We Care A Lot", c’est en résumé "La Menace Fantôme" à la sauce FNM.

Hautement imparfait et bordélique, mené par un chanteur atypique (mais qui chante quand même salement faux : cf. "Mark Bowen"), l’écriture ne trouve que trop rarement sa cible, et rend l’écoute a posteriori plutôt pénible de nos jours. En dehors du tube éponyme et de "Pills For Breakfast", voire "As The Worm Turns" à la limite, peu de pistes sont abouties de bout en bout, malgré une créativité déjà débordante, mais totalement incontrôlée. SI l’on compare les versions présentes sur l’opus à celles enregistrées ultérieurement (en studio ou en live) après le remplacement de Chuck Mosley (RIP) par Mike Patton derrière le micro, on mesure quand même combien la prestation du premier ternit cet essai séminal, même si ce n'est pas le seul responsable.

Mais il faut reconnaître que les germes de ce qui confèrera le statut culte aux Californiens sont présents en filigrane : des nappes de claviers inspirées et dérangeantes, une section rythmique en béton armé (pas beaucoup d’équivalent au duo Gould / Bordin, basse slappée et beats tribaux en étendard, si ce ne sont les pseudo-rivaux des RED HOT CHILI PEPPERS dans un style malgré tout différent). Si l’on remet l’œuvre dans le contexte de sa sortie, en 1985, on ne peut qu’applaudir cette audace d’aller puiser dans le Funk des racines, pour venir y intégrer des riffs (encore timides) métalliques, une approche quasi Punk (dans le sens instinctif du terme) de l’exercice, une batterie atypique et des arrangements anachroniques pour parfaire le tout et donner à l’ensemble une identité parfaitement singulière.

Il est toujours délicat d’évaluer un disque aussi précurseur. Sans le recul, pour ce qu’il contribuera à apporter, on pourrait lui coller un 3,5. Malheureusement, nous sommes en 2024 au moment où j’écris ces mots, et force est de constater combien "We Care A Lot" a mal vieilli et ne procure aucun autre plaisir que celui de découvrir comment la saga a démarré. On prend en toute objectivité que peu de plaisir à son écoute.