Je ne vous referai pas la kro-x de mon très cher collègue Positron, avec qui je partage entièrement l’opinion sur cet album. ZEAL & ARDOR ouvre avec "Devil Is Fine" un chemin vers un terrain encore trop peu exploité. Cet album, bien trop court et bien trop parsemé de petits bidouillis qui font davantage offices d’intros pour être pris réellement au sérieux, est une belle ouverture, et c’est à peu près tout.

Conceptuellement, tout partait plutôt bien : le negro spiritual comme caution spirituelle et symbole de libération, le Black Metal comme vecteur du spirituel et élément radical de subversion. La première piste "In Ashes", dissonante et incantatoire, nous fait un peu une fausse promesse. Car encore aurait-il fallu que l’usage du Black Metal soit structurel ; ici on le vit comme une sorte de "couche supplémentaire" (avec une identité peu remarquable) qui vient parsemer un album plutôt calme de quelques passages troubles (il manque de ce point de vue au morceau éponyme une réelle montée en puissance pour qu’on puisse le considérer comme Metal, mais là peu importe, le titre fait mouche). Le fait qu’aucun titre ne dépasse 3:30 est de ce point de vue assez parlant. Visuellement, on aurait pu imaginer une réappropriation du corpse paint puisant dans l’imaginaire tribal africain.

De surcroît, dans cette idée simplement parfaite de l’alliance de deux "contraires qui s’attirent", la caution électronique ne semble pas faire sens. Outre donner une facilité d’écoute dont on se serait bien passée (non, vous n’aurez pas ici un parti pris aussi fort que celui d’un BATUSHKA dans son alliance chants grégoriens/Black Metal orthodoxe) et cassant avec son principe fondateur, cela donne un goût d’hipsterisation supplémentaire à une hype étonnante, dépassant clairement la qualité réelle de l’œuvre. C’est aussi 6 minutes sur un temps d’album déjà très court que l’on perd avec la série assez médiocre des "Sacrilegium".

Manuel Gagneux est un chouette type, à suivre de très près autant pour BIRDMASK que pour ZEAL & ARDOR. Cependant, que son buzz retentissant prenant une ampleur confinant aujourd’hui à l’absurde (première partie de PUBLIC ENEMY/CYPRESS HILL/PROPHETS OF RAGE au Luxembourg, live sur Canal + qui jusque là n’a été accordé il me semble à aucun groupe de "Black Metal") ne lui fasse pas pousser sur le crâne un laurier qu’il n’a pour le moment pas mérité : cet opus manque d’une compréhension structurelle des codes du Black Metal (pour le reste des influences je ne suis pas assez calé pour dire) autant que d’une rigueur dans la composition similaire à l’autre groupe de "Black Gentil" que les médias culturels plus traditionnels ont sacrément bien apprécié : MYRKUR (et là aussi, le fait que l’artiste derrière le bousin vienne d’une formation de rock "alternatif" rassurante n’est évidemment pas une coïncidence).

Don’t get me wrong bro, ZEAL & ARDOR annonce un vent de nouveauté, mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, "Devil Is Fine" est un chouette exercice de style qui mérite un très sévère approfondissement pour que le pari de Gagneux devienne le pari d’un gagnant.

Une note qui serait de 2 pour cet EP qui ne regorge finalement que d’un titre vraiment génial quoique court ("Come On Down"), de deux titres plutôt bons mais incomplets ("Children’s Summon" et "Devil Is Fine") et d’une intro intrigante ("In Ashes"). Entre temps, ZEAL & ARDOR aura ajouté à ses tubes les très bons "Don’t You Dare" et "A Spiritual" (encore un peu court !), et c’est ce qui m'amène à modifier légèrement ma note vers un plus positif 3/5.