La plainte si intense émanant d’AMENRA n’est pas terminée. Loin d’être parvenus à exprimer tout le suc acide emprisonné dans leurs âmes, les sombres prêtres reviennent prêcher, cette fois recueillis par la très renommée Eglise Neurot Recordings, gage à la fois de reconnaissance et de nouveaux adeptes. "Mass V", voilà le nom de la nouvelle offrande pervertie par des années de maturation dans l’inexpugnable forteresse où vibre le son du groupe, cantonné à une musique qui n’a pas changé depuis leurs débuts, et qui ne changera certainement jamais. Jusqu’au boutisme de l’artiste qui maîtrise désormais son propos ou manque d’inspiration, de foi, de la part de l’adepte, dont la posture suppliante finirait presque par lasser ?

La vérité c’est que ce prêtre noir suit un rituel bien précis depuis des millénaires. Ses prières sont les mêmes, il déroule son chapelet charbonneux à une vitesse constante, psalmodie les mêmes incantations, et supporte la solitude de sa retraite sans faillir. Revenir observer cette vie c’est forcément être amené à revivre des moments figés dans la même temporalité et spatialité. AMENRA n’est pas un groupe qui veut évoluer. Le verbe est d’ailleurs sacrilège, il est à l’opposé de ce que signifie la tradition. En bon religieux, AMENRA suppose un dévouement au ressassement, jamais lassé de toujours proposer une messe noire à l’identique, dont les textes lus sont connus de tous au fil des ans, et dont les gestes intrinsèques sont millimétrés, jusqu’à perdre de leur substance, de leur naturel. La masse prostrée devant le Serviteur reçoit "Dearborn And Buried" sans surprise, et elle écoute sans se surprendre non plus de son contenu : il est identique à tous les autres soirs de communion, lourd, sombre, gravé dans le roc le plus crasseux, Doom, et ténu dans les moyens utilisés.

Captivée, l’assemblée l’est toujours, même si l’habitude a fait perdre du charme à cette cérémonie. Elle est attendue, entendue, sans laisser présager de nouveauté. La forme est la même, le message aussi, et l’on se surprend pourtant à toujours assister à l’office noir, comme fasciné par ce que nous lance au visage les vibrations de cette musique, massifiée, clarifiée et bonifiée par une production plus professionnelle, digne enfin d’AMENRA, qui permet à des parties d’ordinaire classiques d’éclater dans leur juste puissance ("Boden", immensément écrasante). De quoi mettre en valeur l’intensité d’un son personnel, devenu mythique, et qui se traduit sur cette offrande par des morceaux très cohérents, et très progressifs, dont le crescendo est le maître-mot, comme pour mieux soutenir toute l’élévation céleste du geste pointé vers le ciel (à ce titre, "A mon âme" est divinement belle). Un geste qui suit un mouvement vertical, de la voûte aux profondeurs insondables de l’abîme entrouverte par des mouvements successifs de processions lourdes, aux marcheurs souillés de vide. Cette abîme, AMENRA y plonge, dans l’un de ses meilleurs morceaux jamais écrits, "Nowena 9.10", au chant clair si fragile, aux mélodies si profondes et apocalyptiques, soutenues par le Maître Scott Kelly, qui trouve sa place en cette cérémonie autant que dans celles de NEUROSIS.

On sortira du bâtiment en ruines en ayant la sensation d’avoir assisté à la même supplication quotidienne, façonnée comme toujours par un désespoir ineffaçable, portée par une foi véritable.