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DEFTONES - Diamond Eyes (2010)
Par ALANKAZAME le 24 Avril 2010          Consultée 8409 fois

Ce septième album de DEFTONES entre en scène dans un contexte particulier. A l’heure où j’écris ces lignes, Chi Cheng, bassiste de ce groupe pilier du neo-metal, est encore plongé dans un profond coma après avoir été impliqué dans un grave accident de la route. Les changements de line-up sont généralement monnaie courante parmi les groupes de metal. Mais DEFTONES est l’exception qui confirme la règle : mis à part Frank Delgado, qui a rejoint l’aventure durant l’enregistrement de "White Pony", tous les membres du groupe sont restés fidèles à leur poste depuis le début. Bande de potes particulièrement soudée, la formation californienne a traversé bien des épreuves et a su réaliser cet exploit, de plus en plus rare, de créer son propre style après avoir contribué, avec d’autres, à la fondation de tout un courant artistique. Difficile dans ces conditions de se priver d’une des pièces du puzzle.

DEFTONES a franchi beaucoup d’épreuves. Les tensions animant régulièrement le parcours des cinq compères auront souvent fait craindre le pire. Et pourtant ce groupe si singulier est resté, douze ans après sa formation, égal à lui-même : libre et indépendant. On peut dès lors comprendre à quel point l’accident de Chi Cheng a pu menacer l’avenir de DEFTONES. Ses quatre autres membres, désemparés à l’idée de perdre celui avec lequel ils ont toujours travaillé en bonne intelligence pendant plus d’une décennie, ont sérieusement envisagé une dissolution. Mais il en fallait plus que ça pour venir à bout de leur détermination. Boostés par l’énergie du désespoir, Chino, Stephen, Frank et Abe multiplient les concerts de soutien destinés à financer la guérison de Chi. Las, on ne force pas le destin si facilement. DEFTONES se résoudra alors à accepter l’inacceptable : changer de bassiste, en attendant que la pièce manquante du puzzle puisse un jour reprendre sa place.

Chino et les autres, comme pour bien marquer la rupture qui est en train de s’opérer, décident de laisser de côté les morceaux écrits avec Cheng pour s’atteler, avec le renfort de Sergio Vega à la basse, à la réalisation d’un nouvel album. Le projet en cours, "Eros", qui ne peut définitivement être envisagé qu’avec le concours de Chi, est abandonné pour une durée indéterminée. S’ouvre alors ce que tout le monde espère n’être qu’une parenthèse dans l’histoire de DEFTONES ; une parenthèse introduite par "Diamond Eyes".
La douleur est souvent envisagée comme gage d’un certain regain de créativité pour les groupes de rock, et pour les artistes en général. Les aficionados du "Back In Black" d’AC/DC doivent comprendre de quoi je parle. DEFTONES n’échappe pas à la règle, et change donc assez logiquement d’orientation. Plus logiquement encore, "Diamond Eyes" est sans nul doute possible l’album le plus agressif depuis "Around The Fur". Impossible d’évoquer une quelconque forme de retour aux sources cependant : la lourdeur et les influences électro propres à la mutation initiée par "White Pony" semblent avoir définitivement imprégné le style du groupe. C’est ce qu’on appelle assez grossièrement une rupture dans la continuité…

Le fan que je suis doit cependant admettre que ce "Diamond Eyes" n’est pas le chef d’œuvre qu’on aurait pu envisager. Comme un organisme privé d’un de ses organes, DEFTONES semble accoucher d’une œuvre incomplète, qui ne fonctionne donc pas à plein. Quoique très bon, ce très sombre septième album est d’un niveau nettement inférieur au précédent, et les caractéristiques distinguant les orientations artistiques et conceptuelles des deux skeuds ne suffisent clairement pas à dissimuler cet écart qualitatif.

"Diamond Eyes" est un album très frustrant au premier abord, tant on peine, même après plusieurs écoutes, à en saisir les contours. Inégal et hétérogène, du jamais vu dans la discographie du groupe, il a besoin de temps pour être apprécié à sa juste valeur. Chose inhabituelle, DEFTONES semble avoir pris le parti d’une pièce en trois actes bien distincts les uns des autres. Le premier acte se constitue des trois premiers titres. Bien que suintant la marque du combo étasunien par tous les ports, ceux-ci opèrent, de manière assez surprenante, un véritable retour aux fondamentaux du neo-metal. L’impressionnante perte de poids de Moreno semble avoir offert au chanteur un regain d’agressivité, lui permettant de pousser une gueulante qu’on avait plus entendu depuis bien longtemps. "Diamond Eyes", "Royal" et "Cmnd/Ctrl" ne sont pas de mauvais titres. Mais leur entrée en scène n’est clairement pas convaincante. Je laisserai à l’auditeur averti le soin de prendre lui-même conscience des limites rapidement atteintes par l’orientation prise par ce premier acte. Mais disons que si les mordus de neo-metal y trouveront facilement leur compte, ceux qui préfèrent l’originalité et la finesse si typiques de DEFTONES resteront à mon avis plus facilement sur leur faim.

L’agressivité propre à laisser libre cours à la colère suscitée par la perte d’un être cher laisse bientôt la place à un second acte, qui met au contraire en scène l’espace de trois nouveaux titres à une certaine forme de tristesse. Ça sera l’occasion d’un curieux mélange des genres entre les différentes expériences menées par les précédents albums de DEFTONES. "You’ve Seen The Butcher" reprend ainsi à son compte le son de "Deftones", l’album, et de "Saturday Night Wrist". "Beauty School" se rapproche plutôt de "White Pony", toujours avec le son de SNW. Quant à "Prince", avec sa basse groovy très années 90, elle renvoie sans nul doute possible aux sonorités d’"Around The Fur". Peut-être parce que plus "deftonienne", cette seconde partie est plus convaincante. Plus mélodique, plus cohérente, elle met mieux en valeur le potentiel du groupe. Force est de constater, toutefois, que le quintette a été plus doué par le passé pour donner une identité propre à ses chansons.

Comme pour contrarier cette thèse, le single "Rocket Skates" déboule avec toute la lourdeur si caractéristique de la guitare de Carpenter, et constitue à n’en pas douter le moment fort de l’album. Puissant et racé, cet excellent titre véhicule avec cet inégalable talent un mélange détonnant de colère et de frustration. On reconnait sans peine la patte DEFTONES, propre au groupe aussi bien au niveau du fond que de la forme. Entracte inattendu, cette septième piste introduit le troisième acte que constituent "Sextape" et "Risk". Planants et mélodiques, ceux-ci incarnent clairement l’espoir. "Sextape" aurait pu figurer sans peine au cœur de la set-liste de "Deftones" avec sa mélancolie enveloppante.

On en arrive alors au quatrième acte, sans doute le plus intéressant. "976-Evil" et "This Place Is Death" donnent l’occasion à DEFTONES de communiquer le sentiment que le combo sait le mieux retranscrire : la détresse. En un mot, tout est dit. Il est bien difficile de décrire en des termes clairs ces deux titres de clôture expérimentaux et aériens. Disons plus simplement qu’ils incarnent à eux seuls ce que DEFTONES sait faire de meilleur. Un titre tragique et déchirant comme "This Place Is Death" est sentimental au possible : haletant et déstructuré, il transpire une panique communicative. C’est à l’écoute de ce genre de morceau qu’on en arrive à remercier l’art de nous offrir la possibilité de matérialiser nos impressions les plus indescriptibles. Une sortie en beauté !

A contexte particulier, album particulier. Fort de la terrible épreuve que doit traverser le groupe, "Diamond Eyes" est le théâtre d’une collision irraisonnée entre des sentiments aussi forts et durs que la tristesse, la colère, l’incompréhension et le refus de la résignation. La démarche entreprise est audacieuse, son résultat est logiquement complexe. Complexes, les précédents albums l’étaient aussi. Hétérogènes et parfois même déséquilibrés, certainement pas. C’est ce qui explique ma note. "Diamond Eyes" est un bon album. Mais au regard de ce qu’a pu faire DEFTONES auparavant, il ne l’est clairement pas assez. A des titres terriblement prenants comme "Rocket Skates" et "This Place Is Death" s’adjoignent d’autres compositions nettement moins convaincantes, qui ne se donnent clairement pas les moyens de laisser un souvenir impérissable. Privés contre leur gré d’un des leurs, les DEFTONES ne sont pas en pleine possession de leurs moyens et leur potentiel s’en retrouve du même coup sous-exploité. Peu d’équipes artistiques peuvent se targuer d’une telle cohérence. Ce n’est que partie remise. Tiens bon Chi…

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   (2 chroniques)



- Stephen Carpenter (guitare)
- Abe Cunningham (batterie)
- Frank Delgado (claviers, samples)
- Chino Moreno (chant, guitare)
- Sergio Vega (basse)


1. Diamond Eyes
2. Royal
3. Cmnd/ctrl
4. You've Seen The Butcher
5. Beauty School
6. Prince
7. Rocket Skates
8. Sextape
9. Risk
10. 976–evil
11. This Place Is Death



             



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