Alors que, la plupart du temps, les conseils en musique se résument à une liste de groupes à en friser l’indigestion, jamais personne n’y inclura BORIS. Jamais. Ce serait induire en erreur et complexifier le conseil. Et pourquoi ? Parce que BORIS ne rentre dans aucune catégorie en particulier, mais a souillé de ses petites mimines de japonais un peu tous les genres se réunissant sous l’égide de « la guitare qui fait du bruit et qui le fait exprès ». On trouvera donc le groupe ici et là, non pas hésitant en fait, mais curieux de tout, pressé de voir tout ce qu’on peut créer comme musique avec des cordes, un ampli qui crachotte et tout un barda de pédales et d’effets. Des Japonais qui s’émerveillent.

La guitare qui fait bien exprès de faire gondoler les vitres, on va la retrouver dans le drone. Ce n’est pourtant pas étonnant qu’on y croise BORIS le temps d’un ou deux albums, non, c’est plutôt que le groupe démarre ainsi, se faisant l’un des premiers copains de EARTH qui se sentait seul, et en tapant directement dans l’extrémisme (relatif au drone hein) : un seul morceau d’une heure sans faux découpage. Voilà, comme ça c’est fait, les types se sont présentés au directeur des ressources humaines en fronçant les sourcils et en croisant les bras : « nous, on vient pas pour faire un solo ». Leur premier album semble sorti de nulle part (à part de leur propre label : Fangs Anal Satan…quand même…), un groupe qui semblerait tomber des nues, parachuté au hasard dans un microcosme culturel avec lequel ils s’entendirent bien vite : aller plus loin, plus loin, plus loin.

Est-ce qu’"Absolutego" va plus loin ? Au vu de l’orchestre présent, pas tellement. Le trio que forme BORIS n’accueille que guitare, basse et batterie, rien que de très ordinaire pour jouer du drone, pas d’invité de marque pour rajouter du son électronique strident, pas de violon ou de contrebasse pour donner une forme quelconque à leur musique. Mais tout de même, BORIS expérimente plus loin qu’EARTH, dans la recherche des graves tout d’abord. Une basse si bas dans le spectre sonore qu’il faut une oreille attentive et aiguisée pour déceler les infimes variations de son. Ah, c’est beau. C’est beau de ne plus rien reconnaître ? Certes, non, pas vraiment, mais notons le concept.

Cette basse bien ronde, asséchant la gorge par un phénomène que je ne m’explique pas, ne joue en fait le rôle que d’épaule musclée, de deltoïde qui soutient et crée les limites d’une musique qui vit totalement ailleurs. Ailleurs parce qu’elle n’a pas de début, pas de fin, pas de cohérence et qu’elle nécessite cette charpente faite basse pour exister dans une sorte de cadre temporel. Et l’ensemble s’apparenterait à un cliché dans le temps, un extrait de ce phénomène de vie incontrôlée. Une sorte de témoignage d’un drone lâché en liberté. C’est compliqué hein ? Hé bien, "Absolutego" c’est un bordel sans nom. C’est n’importe quoi. Du spontané, tant et si bien qu’il semble créé à l’arrache. Mais ce n’est pas insoutenable non plus, il ne s’agit pas d’un milliard de notes et d’effets qui vagissent simultanément, ni d’une surenchère quelle qu’elle soit. On va compter les bruits sur les doigts d’une main, mais on ne comprendra pas comment ils apparaissent, quand ils se taisent et comment ni pourquoi ils survivent.

Pourquoi d’un larsen passe-t-on à un interlude rythmé, batterie sous acide et chant…sous acide aussi ? Tout semble si bien imbriqué, si naturel, c’est bien une heure de drone qu’on écoute, c’est bien une évolution, une progression ou une régression. Pourtant, on n’a pas de structures mais des bruits qui interagissent entre eux. Et c’est bien, ça ? Certes, non, pas vraiment, mais notons à nouveau le concept.

Pour revenir à cet entracte rythmé, là encore on atteste du fait qu’il se crée ex nihilo et surtout qu’il se produise en pilote automatique. Bluffant. Comme si Wata venait de gueuler aux deux autres, après vingt minutes d’autisme : « ok, les gars, stoner maintenant ». Puis vingt minutes d’autisme plus tard : « ok, les gars, drone ». Et la conclusion, bon sang, la conclusion : « ok les gars, quinze minutes de larsen, juste un larsen, et on revient couper les Jack ». Mais qu’est-ce que c’est que ce chaos ? Cet instantané de vie, amorphe, devenant torture sur la fin ? C’est une expérience, c’est ça ? Le retour à l’ordre, éternel, depuis le chaos, la soupe de son, vers le bruit unique, monotone, le bourdonnement idéal, suprême, la sirène d’alarme forever. Voilà l’ordre, le retour à la stabilité et à l’unique. BORIS a bien rangé sa chambre, et après avoir fait la poussière, c’est le cri assourdissant du silence qui persiste. Et c’est bien, ça, la torture d’un quart d’heure ? Certes, non, vraiment pas, mais notons encore une fois le concept.

Alors, en notant le concept, en prenant en compte l’innovation, la poussée dans l’insupportable, on réalise un beau travail d’archive, qui consiste à noircir des cases correspondant à chaque année pour y ajouter : « 1996, premier album des fous, drone incontrôlé ». C’est bien le travail d’archive, ça fait très sérieux, très rigoureux comme démarche ; mais il s’effectue avec le recul qui convient à la pratique et à l’abstention de parti pris. C’est cette neutralité-là qui m’enveloppe à l’écoute de cet album vraiment difficile, intéressant mais pas génial, pas assez apocalyptique/serein/imagé et presque plus riche dans cet ultime bruit soutenu. De fait, j’accuse les clients de ce genre d’aimer se faire mal. Avouez.