Autre inconnu du côté noir de la Force à faire son entrée sur NIME après avoir bourlingué pas mal, SUIDAKRA vient de sortir son neuvième album depuis 1994, "Crógacht", une fable de 41 minutes à forte teneur en divertissement ! Ah ce qu'il est bon ce disque, mes chers amis…

"Crógacht" (bravoure) raconte l'histoire du guerrier Conlaoch d'après la légende irlandaise, "La mort du fils unique d'Aife", qui a inspiré l'auteur William Butler Yeats. Avec une telle narration sur les bras, comme c'est son habitude, le groupe devenu trio ne pouvait faire autrement que de pénétrer dans une bulle créative aux contours bétonnés. Le résultat qu'il livre sur cet opus est flamboyant.

Avec l'océan de groupes qui inonde le web et les disquaires, les artistes d'aujourd'hui ont besoin d'attirer les auditeurs avec un truc quelconque pour se démarquer. Ce qui, pour le fan, est génial car il a la chance de piger le poisson doré parmi un filet plein de larves. Mais il s'en trouvera toujours pour dire que toute la musique moderne sonne pareil, blablabla, que la musique est morte, blablabla… Rien de plus faux, surtout en Black/Folk. SUIDAKRA attise la curiosité avec cet instrument à vent en forme d'estomac avec des tubes qui en ressortent. J'ai nommé grossièrement la cornemuse, qui existait depuis des milliers d'années avant qu'on l'identifie presque systématiquement aux Écossais. Le son particulier vous envahira d'emblée, dans une marée déjà passablement montante.

En moins clair, SUIDAKRA est un mélange de SEAR BLISS, dont on remplace le trombone par la cornemuse, et de Viking/Folk épique « conventionnel ». Le chant oscille entre les grognements Black, les chœurs fédérateurs des soldats sur le chantier de bataille ou la voix claire des bardes relatant les exploits de leurs ancêtres. Les guitares électrique et acoustique sont mélodiques à l'excès ou coupantes, maximisant le mélange cité plus haut, envahissant l'auditeur de sentiments diamétralement opposés et complémentaires à la fois. L'hameçon principal des Allemands se trouve là, dans cet équilibre entre le traditionnel (percussions tribales, cornemuse) et le musclé, dans le titre "Isle Of Skye" entre autres. Tout comme dans une fable aventureuse, les climats changent parfois radicalement et les pires actions s'échangent les projecteurs avec les actes les plus nobles.

Et cela grâce au fondateur et leader du groupe, Arkadius (le nom du groupe à l'envers…). Ses influences se font sentir un peu partout, à la guitare, au micro, au synthé et au banjo sur "Feats Of War", bon morceau chanté par Tina Stabel. Ses comparses Lars et Marcus abattent un solide boulot de souteneur, tout comme les invités de cette vaste célébration folk. Citons seulement l'as de l'instrument à vent, Axel Römer, armé de sa cornemuse et de sa flûte (entendue sur l'instrumentale "Αr Nasc Fola").

"Gilded Oars" et ses passages symphoniques rehaussés par Römer est une grande réussite des Allemands, tout comme "Conlaoch"," Shattering Swords" et ses riffs speed et le rideau farouchement héroïque "Baile’s Strand", alternant entre descentes vigoureuses et ponts atmosphériques. Excellente manière de conclure un album facile à aimer, et pas seulement à cause de sa couverture irlandaise. SUIDAKRA est un groupe mature, charismatique et en pleine possession de ses outils. Et, en regardant un peu derrière, il devait se faire pardonner quelques ratés...

Ah et puis merde, je me lance dans la lecture des œuvres de William Butler Yeats, SUIDAKRA m'a donné envie. En attendant, je vous conseille vivement cet opus. Que vous portiez du cuir de yacht ou des peaux de mouton.