Après un gentil mépris médiatique qui aura duré presque toute une carrière, MORDRED parvient en 1994 à s'aliéner les quelques fans qu'il avait su amadouer grâce à son intense originalité. Il a suffit d'un rien, d'un simple changement de chanteur et d'un son plus…actuel. On criera beaucoup à la trahison et le groupe ne survivra pas longtemps à ce dos tourné de ces anciens supporters. Un dos tourné bien difficile à encaisser lorsque la contrepartie ne viendra jamais. Et MORDRED mourra sans plus personne pour l'écouter. Une fin triste et injuste.

On le dit souvent pour se rassurer sur un potentiel, on le croit de temps en temps : sous un autre patronyme, "The Next Room" aurait pu trouver son public. Les musiciens n'ont pas changé et ont refusé de renier, dans ce qu'ils croyaient constituer une véritable naissance médiatique après des années de galère, leurs envies de délires et d'incongruités. C'est donc en toute sincérité et sans regarder le virage du vent que les gars de Frisco se sont attachés à enrober leur metal funk d'une bonne touche de sombre, de la couleur du grunge de l'époque, pourrait-on dire en se satisfaisant de raccourcis rapides. C'est bien ça qui a déplu, autant un grain de guitares passablement alourdi qu'un chant empreint d'une nouvelle gravité.

Et quand bien même on n'apprécierait pas ces nouvelles textures pourtant très satisfaisantes dans leur sérieux, il semble bien difficile de refuser l'évidence, cette musicalité accrue, ce sens de la mélodie et le domptage total du n'importe quoi sonore devenu l'apanage du groupe au travers des années. Quelques exemples, "Crash", quart de ballade surf and skate hyper dynamique, "Splinter Down" le dramatique, "Pauper's Wine" qui utilise les sons clairs pour affirmer encore une fois cette humeur noire. Parlons aussi de "Crush", bizarrerie free jazz que l'auditeur peu habitué mettra du temps à apprivoiser et pour laquelle il faudra chercher ressemblance du côté d'Erik Truffaz ou Ornette Coleman. Voilà pour le cœur d'un album moelleux à souhait.

Autour de ces pépites de bon goût, de la patate, du gros metal, de vagues accointances avec le SACRED REICH des dernières années (mais en mieux). Du gros metal toujours très riche et particulier. Ceux qui espéraient se débarrasser de la basse ronde du scratcheur peuvent se ronger les ongles en allant poser leurs oreilles ailleurs, la première conserve tout son volubile, le second progresse encore dans ses schémas et fait chanter ses vinyles en laissant traîner une touche d'exotisme aussi singulière que délectable.

Nouveau départ avorté pour raisons économiques, cette galette oubliée aurait pourtant pu faire son nid dans un recoin inexploré du rock dur. A l'heure du néo metal, du grunge et du thrash moderne, MORDRED aurait pu serrer la pince à KORN, ALICE IN CHAINS et MACHINE HEAD. Au lieu de ça, il attendra tout seul jusqu'à ce que la fatigue et l'ennui lui dictent un jeter d'éponge dommageable pour un monde du metal qui tenait là une entité qui a connu ses moments de déséquilibre mais avant tout unique. Oui, oui.

Et on pleurera longtemps cette disparition.