Nous sommes en 1995 et le tout jeune LeSombre que j’étais alors flashe, lors d’une de ses visites régulières chez son disquaire favori, sur un CD enfermé dans un coffret métallique avec en couverture une scie en train de trancher un portrait de bois dégradé dans les teintes rouges. Enorme. « Ah ça, c’est Krabathor, du brutal death tchèque » répond le vendeur à mon regard enthousiasmé. Délesté de quelques francs, je rentre illico chez moi, empressé d’ouvrir un peu mon univers musical qui se limitait alors essentiellement au black pur et dur.

« The truth about lies » est très accrocheur sans être révolutionnaire : une série de riffs bien cadrés déboule après un sympathique blasphème, suivie d’entrée de jeu d’un petit solo qui aère tout de suite la compo. Pas mal, je suis captivé. Vient ensuite le bijou de cet album, « Unnecessarity », qui fusionne avec talent des parties de guitares monolithiques empruntées au death et des passages heavy envolés, avec une habile montée en puissance au milieu. Au fil de l’écoute, éclatent aussi rapidement les influences du groupe : Deicide, Morbid Angel, Cannibal Corpse ainsi que les Hollandais de Sinister. Ces derniers un peu trop présents d’ailleurs et avec eux les problèmes qui les caractérisent.

En effet, passée la très bonne surprise des deux premiers titres, l’enthousiasme reflue, ça ne prend pas. Pour le comprendre, on pourrait incriminer la production, parfois imprécise (notamment sur les vocaux, trop souvent étouffés ou couverts par les instruments) ou le manque d’imagination, souvent dramatique, des musiciens qui se révèle progressivement (tout paraît très linéaire). Mais le problème se situe ailleurs. Le groupe peine manifestement à se démarquer des productions existantes. Krabathor manque de personnalité, ne prend pas assez de risques, souffre clairement de l’ombre portée par les pointures du death. Les Tchèques ne trouvent pas leurs marques, parce qu’on les sent coincés entre la tentation d’une écriture mélodique (curieusement placée au début de plusieurs morceaux dont « Pain of bleeding hearts ») et la déférence maladroite envers les maîtres death du moment. Cette hésitation les amène à plomber involontairement leurs titres avec des passages bien lourds dans l’air du temps, qu’ils semblent avoir du mal à faire tenir ensemble, d’où la tentation de recourir à du remplissage manifeste (le break de basse, toujours dans « Pain of bleeding hearts », n’apporte ainsi strictement rien à l’intrigue musicale proposée).

Krabathor, un groupe de death mélodique qui s’ignore ? Peut-être, en tous les cas le côté brutal n’est pas leur fort sur cet album. On les sent plus à l’aise dans d’autres registres et notamment heavy ; voir par exemple le très réussi « Believe », dans lequel ils sont nettement plus convaincants. Bref un groupe dont la mutation en 1995 n’est pas achevée.