A moi revient le redoutable honneur de présenter les membres de cet excellent groupe qu’est Anata (qui marque le tutoiement en japonais, mais ça n’a rien à voir). Après The infernal depths of hatred sorti en 1998, Dreams of death and Dismay marque le moment où les Suédois singularisent leur style et décantent leurs influences : les montées en brutalité évoque le death floridien (« Drain of blood »), les plans de guitares sont empruntés à leurs compatriotes d’At the Gates (« The Enigma of Number Three ») ou Luciferion (pour le côté dark) et l’on retrouve des breaks très narratifs à la Dark Tranquillity (« Faith, Hope, Self-Deception »). Le résultat est un death technique et rugueux, joué avec une classe terrible, parfois un brin ésotérique (« The temple-Erratic » m’a perdu en route, mais c’est un détail).

Cet album fortement charpenté, avance tout muscle dehors et puise sa force dans des guitares savamment entrecroisées, complices, qui s’épaulent, se complètent et forgent des titres à l’ossature solide. Face à des grattes dominatrices, la basse n’est pas en reste et travaille dans l’ombre à renforcer l’édifice. Les vocaux, bien arrachés et très secs, ne trainent pas en longueur, le chanteur reste à sa place, se laissant parfois aller à un petit basculement grind. Au niveau de la base rythmique, force est de constater qu’Anata détient un art consommé du changement de rythme et il convient de saluer comme il se doit la prestation du batteur, Conny Pettersson. Les Suédois accélèrent ou ralentissent les tempos très subtilement, parfois sur des moments très courts, souvent plusieurs fois par titre sans que ce soit perceptible de prime abord. Prendre la mesure de l’énorme travail de composition réalisé nécessite d’ailleurs plusieurs écoutes. Sur le coup, on sent que quelque chose vient de se passer mais on met du temps à comprendre quoi et on en retire surtout l’impression que ce groupe est décidément très fort en architecture musicale.

La construction des morceaux est en effet impressionnante, marquée à la fois par une approche assez classique du death mais aussi une totale perversion de ses fondements. Anata joue avec les structures, transforme des enchaînements d’accords familiers et provoque une surprise constante chez l’auditeur, une déstabilisation permanente. Au début d’un morceau, il arrive fréquemment que l’on ne sache pas vraiment où les musiciens veulent en venir, bien que l’on ait en même temps l’impression d’être en terrain connu. Anata maîtrise très bien son sujet : leur connaissance du genre paraît encyclopédique, ce qui leur permet de jouer des multiples influences qui ont façonné leur style. Constamment inventifs, les Suédois s’amusent même parfois à retourner leurs riffs dans tous les sens (« Faith, Hope, Self-Deception ») ; cette manière de torturer ses propres compos confère à l’écoute un côté enlevé et dynamique. A cela s’ajoutent des soli exécutés avec maestria qui arrivent et repartent de nulle part, paraissant juste « déposés » sur le titre pour l’enrichir sans l’alourdir.

Dreams of death and Dismay est impeccable de rigueur : rien n’est laissé au hasard, tout a été évalué avec le coup d’œil expert du maître. A découvrir d’urgence.