Je vais vous avouer quelques chose.

Ce qui me plaît et m'amuse dans les rencontres c'est lorsque je me rends compte que je peux avoir des points communs avec des personnes qui me paraissent a minima très éloignées sinon très opposées à moi.
Leur discours et leur vécu m'ont toujours permis d'avancer et de mûrir en quelque sorte. Comme si leur histoire faisait écho à la mienne et me nourrissait. La preuve, je me fais souvent la réflexion que j'ai plus de points communs avec les membres de l'équipe de NIME ou du Discord du même webzine, étant très largement en minorité en tant que femme, qu'avec mes propres collègues qui sont au contraire en très grande majorité, des femmes comme moi.

Vous comprendrez donc mon étonnement, lorsqu'au détour d'une interview de Gabriel Franco, chanteur d'UNTO OTHERS, j'ai compris que nous avions en commun cet handicapant manque de confiance en soi, moi, petite Française lambda que je suis et lui compositeur, musicien et interprète. Comment cet artiste peut-il autant se mettre en avant sur scène, montrer toute cette assurance qu'on a besoin de ressentir en tant que spectateur, et en même temps douter sur ses qualités de performer ou de compositeur ?
Il a eu au moins l’honnêteté de montrer l'une de ses failles (après tout, tout le monde en a) et a avoué n'avoir atteint la confiance qui lui manquait cruellement qu'à la quarantaine. Comme quoi ce milieu de vie, n'est donc pas obligatoirement un naufrage pour les hommes comme pour les femmes. Parfois, c'est le moment de mettre à profit cette période faite de bilan, de réflexion et d'analyse sur ce qu'on a pu accomplir jusque-là ou non. Cette prise de recul peut amener à faire ce dont on a vraiment envie et d'aller au-delà des limites qu'on nous a fixé ou qu'on s'était fixé et prendre enfin confiance en soi. In fine, être plus libre. Néanmoins, la grande différence entre les hommes et les femmes, est que l'invisibilité de ces dernières dans la société, grandit au rythme de l'apparition de leurs rides, contrairement aux hommes, et on leur renvoie régulièrement leur DLC en pleine figure.

Bref, je referme cette parenthèse teintée de revendication.

Lorsqu'il était plus jeune, Gabriel Franco ne parvenait pas à se sentir légitime en tant que chanteur au sein d'une formation musicale. Ce manque de confiance en lui l'avait conduit à vouloir tout gérer, tout contrôler de peur d'être jugé par les autres. Ses débuts au sein du groupe SPELLCASTER laissaient déjà entrevoir ce trait de caractère ce qui s'était traduit par le fait qu'il avait joué un rôle assez central, se qualifiant lui-même d'arrangeur principal. Avec UNTO OTHERS, il a poursuivi de la même manière, jusqu'à gérer les tournées, la logistique et même la boutique en ligne (qu'il continue à traiter aujourd'hui encore), tout en ayant l'écriture pour priorité. Le bon accueil du public et des médias dès la sortie de "Mana", a poussé Franco à rechercher à faire toujours mieux. C'est d'ailleurs en partie dans ce contexte de tension que "Strength" a été écrit, apportant une atmosphère plus sombre à l'album et pour ne rien arranger, la tournée qui s'en est suivie (première partie de CARCASS, BEHEMOTH, KING DIAMOND) a été très éprouvante pour le combo. La pression était probablement trop forte, c'est pourquoi au moment d'élaborer ce nouvel album, "Never, Neverland", le leader a décidé de la mettre de côté et s'est moqué totalement des critiques qui allaient parvenir jusqu'à lui. Il a ainsi volontairement laissé la possibilité à ses acolytes de s'exprimer et de composer certains titres, ce qui donne un mélange assez collaboratif et atypique au regard de leur discographie en devenir. La composition n'est pas le seul domaine artistique à bénéficier de ce choix participatif innovant, puisque l'interprétation gagne aussi en intensité avec la participation pour la première fois de Brandon Hill, bassiste du combo, posant sa voix sur certains titres.

Au final, ce travail de concert apporte une plus grande diversité musicale et ajoute une dynamique totalement différente des autres LP. On y trouve du Thrash avec "Fatline". Ça peut surprendre au premier abord mais c'est sans savoir que Franco venait du Thrash initialement et qu'il s'agissait aussi de son genre de Metal de prédilection. De son propre aveu, il avait tout simplement envie de shredder sur ce morceau. Certains comme moi se défoulent en chaussant leurs baskets pour courir, lui il shredde, normal.

Tout aussi étonnant, UNTO OTHERS nous propose une petite touche de Death avec le très sympa "Momma Likes Door Closed", agrémenté d'une partie funky à la RED HOT. Si si je vous jure ça passe crème. Je vous conseille vivement de jeter un coup d’œil sur la vidéo qui est est totalement déjantée, kitsch, et à mourir de rire. Une fois de plus, ça fait du bien de voir les gars sortir de leur zone de confort et s'exprimer dans un domaine tout autre que celui de la musique. Bienvenue ici dans un film d'horreur inspiré des séries B des 80s, avec comme protagonistes des metalleux chevelus, des vampires et une victime dans la peau d'un metalhead arborant son t-shirt DIO en guise de pyjama, le tout dans une maison copiée sur celle d'Amityville. Bien sûr le metalhead flippe et se barre en courant se réfugier dans son lit au moment du sacrifice. J'arrête là sinon je vais vous divulguer la fin.

Côté Heavy, UNTO OTHERS reste dans la lignée de ce qui a déjà été fait, à savoir des compositions directes, efficaces et vintages agrémentées de Gothique. Le son de guitare claire de Sebastian Silva (si singulier et caractéristique du groupe) est magnifique. Il réussit tellement bien faire passer ses émotions et avec une telle simplicité en plus (comme si ça l'était réellement !). Le titre d'ouverture, "Butterfly", en est une parfaite illustration.
Et que dire de la voix de baryton de Franco, qui apporte son lot de résonance et d'amplitude notamment sur "When The Kids Get Caught". J'avoue avoir un énorme faible pour sa voix. Mais c'est "Fame" qui me convainc le plus avec son interlude qui nous embarque dès les premiers riffs de guitare, dans l'univers captivant et parfois dangereux de la célébrité. Très entraînant, ce morceau est l'un des mes préférés de l'album.
En prime, ce nouveau LP nous offre quelques belles surprises. À ce titre, je dois avouer que "Hoops" m'a le plus surpris et plu. Les instrumentaux se faisant de plus en plus rares, j'ai trouvé celui-ci vraiment réussi avec ses petits arpèges, son solo de guitare et ses chœurs qui me laissent parfaitement bien imaginer ce que cela pourrait donner en live. Enfin, en dernier cadeau, il nous est proposé une reprise de "Pet Sematary" plus incisive que l'originale, bouclant ainsi cet LP qui se veut définitivement différent dans la discographie d'UNTO OTHERS.

La seule faiblesse que je pourrais noter, serait la moins bonne qualité de certaines ballades qui sont moins convaincantes que par le passé. Pour n'en citer qu'une je dirais que "Sunshine" est un peu trop mielleuse à mon goût même si certains pourraient arguer du fait que le Metal peut aussi oser des thèmes moins sérieux et plus positifs.

Une fois de plus, UNTO OTHERS nous livre un nouvel LP de très bonne facture.
Chaque titre raconte sa propre histoire et nous embarque vers des univers extrêmement variés, ce qui le rend original et unique dans la discographie et démontre que le combo est capable de s'approprier les styles et les genres, en les alternant avec une facilité déconcertante, pour n'en faire qu'à leur tête. C'est ce qu'on appelle la maturité et ça a du bon au final. Est-ce le travail en commun des membres qui a permis cela, je ne sais pas, mais en tout cas UNTO OTHERS dévoile ici un album très personnel, affranchi de ce qu'on attendait du groupe, le tout avec une production bien calibrée du Britannique Tom Dalgety.