La surface de l’eau claque comme un fouet sur mon dos, puis la masse liquide m’absorbe comme un énorme édredon froid et collant. La forme féminine aux reflets bleutés qui m’enlace et m’accompagne dans l’onde obscure se veut soudée à moi. Son étreinte puissante exprime autant de passion amoureuse que de rage destructrice… Ses lèvres sont froides même si son sang et ses muscles bouillonnent. L’univers liquide qui m’entoure à présent est constellé de particules argentées qui s’infiltrent doucement dans mon corps mais ne provoquent aucune suffocation ni même la brûlure pulmonaire si caractéristique du sentiment de noyade. Ma conscience s’enfuit.
Le monde et mes pensées ralentissent… Me raccrochant à cette étreinte à la fois passionnelle et fatale, je me retourne une dernière fois sur ce petit garçon perdu que j’ai cessé d’être il y a si longtemps comme vers tous ceux que j’ai pu faire souffrir. Ce sont les larmes d’amertume que je verse sur mes regrets qui finissent par me noyer…

"- Putain d’merde ! J’me suis encore endormi en écoutant le dernier album de FULL NOTHING !"

Parce qu’il n’est jamais inutile de le rappeler ici, la marque de fabrique de ce combo aux géniteurs d’origine argentine est un Dark Metal puissant tant enjôleur que mélancolique porté par des ambiances tantôt rythmées, tantôt envoûtantes et s’adressant clairement autant à nos sentiments qu’à notre imagination qui s’en trouvent stimulés !
D’ailleurs, de par son histoire singulière, ce combo encore peu connu des masses laborieuses, mêle passion métallique et adhésion à un projet commun. Lancé en 2014-2015 comme un collectif musical par trois zicos argentins épris de riffs profonds comme d’atmosphères émotionnelles prononcées, le recrutement initial se fait via les réseaux sociaux (ben voui, faut vivre avec son temps coco!) et le démarchage décomplexé de quelques sommités métalliques … dont certaines finissent par répondre favorablement !

C’est ainsi que le filiforme et néanmoins et très convaincant Juha Kylmänen ou encore l’excellentissime THERIONisant Mats Levén parmi d’autres, rejoignent cette formation improbable du bout du monde et contribuent ainsi à la réussite artistique d’un premier-né ("Full Nothing" – 2015) qui passe pourtant sous de nombreux radars…
Cependant, au lieu de se dissoudre comme une promesse électorale un lendemain de victoire, FULL NOTHING ressurgit près de trois ans après en exhibant un line-up consolidé, où le Finlandais à la voix grave mais sachant être expressive tient officiellement le micro, et où viennent quand même se greffer des invités, les Argentins semblant être attachés à leur modèle de fabrique.
C’est ainsi que la formation produit une seconde offrande ("Somewhere And Nowhere" – 2018) qui, même si elle témoigne d’une petite baisse régime côté inspiration, prouve s'il en est besoin que FULL NOTHING se maintient dans le monde des vivants tout en restant fidèle à sa signature artistique… on en aura enterré pour moins que ça. Vous avez dit "jamais deux sans trois" ? Et c’est effectivement ce qui nous intéresse aujourd’hui.

Car il faut bien le reconnaître, après trois années meublées par de rares apparitions et deux EP assez maigrichons, FULL NOTHING s’est un chouia fait attendre pour revenir enfin avec ce "Our Legacy" paru fin janvier 2024 tant chargé d’invités que d’ambition.

Côté invités, ce sont les (bons) vocalistes Joel Dickson, Kate Metz, Rory Rodriguez ou encore Christina Rotondo qui viennent doubler ou répondre à l’organe vocal faussement depressivo-linéaire de Kylmänen ; l’ami Dickson s’incrustant sur pas moins de sept titres sur les onze contenus en soute, où sa voix hurlée loin d’être ridicule apporte une teinte sombre ainsi qu’une rugosité particulière qui profitent ainsi au plus gros de l’album et aux ambiances plombantes qu’il déploie. Complètement inconnus sous nos jolies contrées, ces guests enrichissent néanmoins clairement un "Our Legacy" qui ne serait pas le même sans cet apport qualitatif.

Un troisième opus qui s’avère d’ailleurs tant travaillé qu’ambitieux en offrant un Dark Metal aussi sombre que musical et dont la sophistication pourrait d’ailleurs refroidir les écorchés du genre : son et mise en place impeccables, ambiances mélodiques léchées et délicieusement entêtantes, soli guitares accrocheurs tout en étant cadrés sans oublier des orchestrations millimétrées apportant de la profondeur quand et là où il faut… On est loin du bordel audio-émotif qui gicle dans tous les sens ou de la cascade d’émotions rageuses éclaboussant jusqu’aux godasses !

Demeurant donc sur des sentiers bien éclairés, FULL NOTHING n’en demeure pas moins accrocheur avec des compositions de qualité ; à l’image de l’ample et prenant "Blood In The Dark", véritable oriflamme de ce que le combo peut faire de mieux en la matière… qu’il s’agisse de mélodies envoûtantes portées à deux voix, de lignes rythmiques à la profondeur ravageuse, d’un solo guitare piquant à souhait jusqu’à une fin en pente douce. Inversement, les Argentins jouent avec les contrastes en balançant un "Only Human" au tempo enlevé et où la voix hurlée contribue joyeusement à cette bousculade déménageante : des orchestrations opportunes venant accompagner le piano en fin de solo guitare pour clôturer ce titre jouissivement décalé. Le contre-pied est heureux et on l’apprécie comme tel !

Mais du haut de ses 56mn, "Our Legacy" montre rapidement les limites d’un modèle au sein duquel les musiciens semblent avoir un brin du mal à innover. Avec une brochette de lancement séduisante ("Walk Away", "Bleed Me Dry" et "Inadmissible") suivie des deux pièces d’orfèvre que je viens d’évoquer… et bien les choses se délitent un peu pour tomber dans un ronron parfois pesant. Enjoué et accrocheur sur sa première partie, ce cru 2024 patine ensuite sur des titres qui dans le meilleur des cas n’apportent rien au schmilblick ("Subjugation", "Our Legacy") voire limite insipides qu’on aurait tendance à oublier aussitôt l’écoute achevée ("Turned to Ashes", "Endless Rivers" ou encore la balade pas trop mal faite mais très classique "In Time"). Le combo grille ainsi inutilement son kérosène, et accessoirement la patience auditive d’un passager qui regrette la jolie hôtesse présente lors de l’embarquement mais trouve immangeable le poisson pané aux lentilles qu’on lui a servi à mi-parcours… dommage !

C’est donc un ressenti en demi-teinte qui ressort de ce "Our Legacy" qui n’est pourtant pas dépourvu de qualité(s). FULL NOTHING y marie d’ailleurs remarquablement bien sa science du mélancolique et des effets punchy qui dynamisent le tout : les Argentins démontrant leur capacité à évoluer dans leur signature artistique sans pour autant se renier. Cependant le groupe s’enferme dans un univers métallico-émotif certes soigné mais qui finit par tourner en rond au risque de lasser. La caresse artistique à rebrousse-poil portée par "Only Human" est intéressante à plus d’un titre et c’est peut-être cette capacité à sortir de ses propres sentiers de composition qui évitera à la formation de franchir le seuil tant redouté du Royaume de l’Oubli. Le combo est né sur une impulsion d’originalité et de savoir-faire collectif : il est donc essentiel de les conserver pour durer.

J’ouvre les yeux sur le ciel nocturne constellé d’étoiles. Le bruit du vent léger dans les branches a remplacé le battement sourd de mon cœur asphyxié au fond de l’eau. Étalé sur la berge de cet étang qui a failli m’avaler, je sens sous mes mains une terre sablonneuse et très humide. Ma compagne de naufrage n’est plus là… son contact et sa rage me manquent. Mes doigts étant l’unique partie de mon corps que je puisse bouger sans douleur, je trace un 3/5 résolu sur la grève. "Our Legacy" a su me faire rêver mais il m’a également laissé sur ma faim en me faisant revenir trop tôt à la réalité.

- pour la profondeur :"Blood In The Dark",
- pour le rythme :"Only Human",
- pour la seconde partie :"Our Legacy".