Doté d’un naturel musicalement optimiste, je reconnais néanmoins émettre une petite réserve de derrière les fagots concernant les groupes constitués sur recrutement officiel ou tout autre appel public à candidature… Ayant, dans ma folle jeunesse, moi-même transpiré une paire d’heures dans de sombres studios de répétition, je pars en effet du principe que jouer ensemble est d’abord une affaire de feeling, de rencontre, de circonstances et surtout de complicités tant individuelles qu’artistiques.

C’est dire que le curseur de ma circonspection était donc placé au plus haut lors de la découverte de FULL NOTHING, formation au châssis Dark Metal et à la motorisation argentine ayant recruté ses membres par démarchage sur les réseaux sociaux ! Projet musical voulu unique initié et monté par le guitariste Nicolas Marcos, le claviériste-arrangeur-producteur Guillermo De Medio et le producteur Augusto Amicon – tous trois argentins – FULL NOTHING voit ainsi ses créateurs rassembler d’une manière tant insolente qu’inopinée, une fichue brochette de talents allant du splendide Mats Levén (THERION), à l’arachnéen Juha Kylmanen (FOR MY PAIN) en passant par le guitariste Christian Vidal (encore THERION) ainsi qu’une foule de guests. Ce pari fou aboutira à la sortie d’un premier album studio au titre éponyme en 2015. Sans réinventer le genre, FULL NOTHING y offre un Metal sombre et musical en mid-tempo , à l’ambiance marquée, et parvient très honnêtement à y attirer l’amateur du genre en recherche de style et de qualité.

Oui mais voilà, qui dit éphémère dit aussi « one shot » : on débranche les amplis, on range les instruments, on vide les poubelles et après avoir éteint les lumières… Ben la bise et on rentre chez soi. Peu de promo, pas de tournée, chacun retourne à ses petites occupations musico-quotidiennes quoi !

Or, malgré quelques lambeaux d’annonces diffusées ça et là sur le Net selon lesquels le groupe perdure et que les principaux musiciens (dont le chanteur Juha Kylmanen) sont confirmés dans leurs postes, la formation tombe néanmoins sous le radar. Seules alors quelques ondes discrètes semblent indiquer que le poisson nage toujours, grandit, et qu’il se prépare quelque chose : un « Deluxe Edition EP » paru en 2016, un single "Midnight Warning" avec Mats Levén doublé d’un "Live Session" de quatre titres repris en studio en mars 2018… Ça bouge donc la dessous !

"Somewhere And Nowhere", second opus du projet devenu formation, sortira ainsi en juin 2018. Affichant un line-up quelque peu resserré en comparaison du véritable hall de gare qui sévissait sur la première livraison, FULL NOTHING s’est vraisemblablement étoffé dans sa musique en s’adjoignant les bons services de l’orchestre symphonique de Bratislava pour les orchestrations de ce second album dont le mixage est confié à Mister David Castillo (KATATONIA...) alors que la masterisation revient au légendaire Ted Jensen (KORN, DISTURBED...).

Fort de onze morceaux et d’un court discours audio ("Message For The Future") dont l’ambiance générale demeure très cohérente avec le premier opus studio, FULL NOTHING nous offre ici un Dark Metal atmosphérique affûté, sachant être puissant et rythmé, à la recherche mélodique évidente. On sent d’ailleurs nettement qu’ici également, c’est une ambiance très prenante, faite d’intériorisation, de nostalgie, de sentiments, mais sans être larmoyante, qui a été privilégiée. La voix particulière de Juha Kylmanen s’y adapte particulièrement bien : naturellement assez grave mais capable de belles variations, le chant et l’émotion qu’il transporte sont une fois de plus au centre de l’arène… Servi par une maîtrise technique consommée mais tout en retenue des instruments. À ce bel ensemble, et toujours au service de cette ambiance marquée, on notera l’utilisation récurrente du piano, de chœurs ainsi que du support d’orchestrations symphoniques… Bref, FULL NOTHING persiste et signe dans la direction initiale prise dès 2015 avec ce nouvel album. La formation semble ainsi nous ouvrir son âme musicale et nous invite au voyage, non sans une certaine poésie… Poésie elle-même matérialisée par l’art consommé des habiles transitions jalonnant tous les titres et où des passages puissants et rythmés alternent intelligemment avec des pauses atmosphériques ou mono instrumentales.

Comme tu l’auras compris ô cher lecteur, la cause de ce groupe monté sur des bases un tantinet artificielles semble gagnée dans l’esprit et surtout dans le cœur du rédacteur de la présente chronique ! En effet, l’atmosphère déployée par FULL NOTHING me parle et m’attire dans ses rets, séduit que je suis tant par le fond que par la forme proposés sur "Somewhere And Nowhere". Au-delà de ce contentement de l’âme et des sens, j’estime que les musiciens de cette formation créée de toutes pièces sont parvenus à se comprendre et à jouer ensemble comme de vieux potes, avec ferveur et… Complicité. Il s’agit pour moi du principal tour de force de cet album qui devait succéder, au moins par son existence, au premier coup d’éclat de 2015…

Aussi, cette alchimie musicale et humaine me semble particulièrement atteinte et réussie sur des morceaux comme le contrasté "Silent War" avec ses refrains lourds et puissants, "Unison", power-balade en ascension puis en decrescendo ou encore le très mélodique "Sacrifice" dont le bridge réussit à marier riffs ciselés, double grosse caisse et orchestrations symphoniques. Comme sur le premier opus, les instruments, remarquablement maîtrisés et équilibrés, ne sont pas ici pour nous transporter dans de splendides démonstrations techniques… Même si les musiciens qui les manient en semblent tout à fait capables : l’émotion et l’atmosphère sont délibérément privilégiées et on ne s’écarte (que trop rarement) du chemin pour les amateurs d’échappées instrumentales… Petite frustration donc.

Pour le reste de l’album, FULL NOTHING ne dévie pas de son cap : les morceaux se succèdent, sont agréables avec ça et là quelques embardées, quelques accélérations, mais l’on sent bien que le modèle que s’est donné le groupe est scrupuleusement appliqué titre après titre. Une mention néanmoins particulière pour "Let Me Go" qui, en rassemblant les qualités citées plus haut, se démarque par son originalité avec ses lignes criées sur le refrain et sa structure globalement plus nerveuse que celle de ses confères.

Basé sur l’émotion et la musicalité, "Somewhere And Nowhere" est par définition difficile à critiquer de manière objective. Indéniablement, le groupe propose des compositions Dark Metalliques cohérentes et de qualité, mais qui suivent peut-être une trajectoire trop rectiligne et donc prévisible. La bonne surprise de 2015 étant passée, j’aurais souhaité un album sans doute un peu plus différent de son aîné, ou en tout cas avec un désir d’évolution plus marqué ! Sans réellement avoir cloné le premier-né, FULL NOTHING semble proposer ici une livraison quasi-identique… Ce qui peut plaire aux fans du genre mais faire regarder vers d’autres cieux ceux qui comme moi, ont le Metal quelque peu itinérant. Il n’en demeure pas moins que "Somewhere And Nowhere" est un album attrayant que tout amateur du genre peut écouter et qu’il jugera sans doute plus avec son ressenti personnel qu’avec ses seules oreilles.

Étant légèrement resté sur ma faim sur cet opus, après le profond et complet album éponyme de 2015, je jette dans les premières rafales de vent d’une sombre tempête qui approche un 3/5 qui s’envole alors vers les cieux encombrés et poétiques de FULL NOTHING… En espérant que cette formation prometteuse ne se contentera pas d’un sur-place, même de qualité, mais prendra le risque d’avancer et de surprendre !

- pour ne pas mourir idiot : "Unison" / "Silent War",
- pour continuer à se faire plaisir : "Let Me Go",
- au feeling pour le reste...