En voilà un album qui veut faire bouger les lignes sur le papier… Cinq ans et accessoirement une petite crise mondiale semblent avoir été nécessaires à DECAPITATED pour fournir un nouvel effort studio gorgé de vérités à faire entendre. Des vérités plutôt… banales.

Allez, hauts les cœurs, les Polonais ont démarché des invités de marque sur cette galette, à savoir Robb Flynn (MACHINE HEAD) et Tatiana Shmayluk (JINJER). Entre un vétéran et une étoile montante déjà propulsée au faîte de la galaxie du Groove Metal, le champ des possibles s’étend à perte de vue. Sauf que, premier choix plus que discutable, pourquoi au grand pourquoi se contenter de les faire chanter leurs parties en clair, les condamnant au pur statut de guest, et ne donner qu’une impression de présentéisme ? Autant Flynn n'est pas un grand ténor, mais il est regrettable de ne pas profiter de la palette vocale de Shmayluk, la reléguant au statut réducteur de voix féminine en clair sans aucune aspérité. "Hello Death" en devient même un des titres les plus faibles de l'album pour son inconsistance, la voix perçante de l’Ukrainienne ne parvenant pas à se fondre avec l’esthétique butorde du trio. Outre ce faux-pas, cela ne vient pas requestionner l’objectif principal de ce huitième album, balancer sec sur les maux de la société. Antivax, wokisme, réchauffement climatique, génération smartphone, tout y passe, et ça dénonce. Jugez par vous-même :

"Planet Earth is red
A lot blood was shed
Planet Earth is grey
From cradle to ashtray" - "Suicidal Space Programme"

"Eye for an eye
Opinions like opiates
Tooth for a tooth
Comments like convictions" - "Cancer Culture"

Et le meilleur pour la fin :

"4Chaaaaaaan university graduates
Experts in funny pictures and cats" - "No Cure"

Oui, c'est affligeant et écrit par un ado éco-rebelle qui veut se venger du SUV de ses parents avec lequel ils vont chercher leur baguette à la boulangerie située à deux-cents mètres. Je sais que beaucoup se contrefoutent des paroles, de surcroît screamées, mais c'est mon dada et je ne peux passer outre l'expulsion de banalités à ce point. Dire qu'au début je trouvais que le jeu de mots "Cancer (pour Cancel) Culture" était relativement bien trouvé, j'en oubliais presque mon penchant à me marrer aux dad jokes, ce qui n'est pas vraiment un gage de qualité.

Allez, je prends mes cachetons et je me concentre davantage sur la forme, et moins sur le fond. De l'aspect sommaire des lyrics découle une musique qui l'est tout autant, sans que c'en soit pour autant préjudiciable : "CC" se situe dans la lignée directe de la recette proposée par "Anticult", avec encore moins de fioritures. Les premières années de Tech sont définitivement enterrées (passez-moi l'humour noir) depuis belle lurette, et même le groove qui restait un gage de qualité et de personnalité de DECAPITATED tend à s'étioler, ces derniers préférant s'acharner sur du riffing en trémolo, en double pédale constante pour forcer l'effet coup de poing. La sauce prend sur l’enchaînement introductif sombre ("From The Nothingness With Love") avec l'éponyme concentrant tout le jus de l'efficacité de DECAPITATED, mais une fois la formule vite acquise, tout tombe dans une routine agaçante, car puant la simplicité.

Je vais être vache, mais si cette galette était sortie ne serait-ce que quinze ans avant, elle n'aurait pas fait tache dans le paysage Death par sa consensualité. Mais en 2022, l’illusion ne tient plus, d'autant que la disco de DECAP’ commence à être fournie et qu'un album de la facilité comme celui-ci ne tombe pas à point nommé. Certes, la production est irréprochable et sert efficacement les soli véloces en découpant nettement chacune des notes, mais tout glisse comme sur les plumes d'un canard : il n'y a rien de surprenant ou de novateur… Le chant de Rasta est un encéphalogramme plat tant dans la fréquence que dans la posture : de longs screams invariants, détonnant d'autant plus avec l'effort de Tatiana Shmayluk, nettement plus investie dans le job. Le riffing de Vogg est inversement efficace à la monotonie de ses soli, et permet à lui seul de tenir à bout de bras les titres les plus convaincants, car la construction de "Hello Death", de "Locked", ou de "Hours As Battlegrounds" est plus que calamiteuse.

Et merde les pilules ne font plus effet… Cet activisme d'opportunistes et de bas étage c'est juste trop ! Là où CATTLE DECAPITATION (on est dans le thème du coupage de têtes) a su affiner son discours au fil de sa carrière pour militer fièrement et crédiblement contre la destruction de la planète et la cause animale, ou encore NAPALM DEATH qui s’engage par essence depuis quarante ans contre les discriminations de toutes sortes, DECAPITATED met maladroitement les pieds dans le plat, et discrédite son propre propos en tentant un grand écart pour ratisser large, et en survolant donc des causes bien plus subtiles que les lapalissades auxquelles nous assistons, un peu honteux.

En bref, "Cancer Culture" est un défouloir de moyenne facture pour auditeurs peu exigeants et/ou peu attentifs. C’est de la musique de fond pour Metalleux en bande organisée, en gros. Contrairement aux albums qui se bonifient avec les écoutes, celui-ci prend l'autoroute à contresens et empire, assez rapidement de surcroît. Donc écoutez-le, mais qu'une seule fois au risque que ses défauts ne vous sautent à la figure… Comme le COVID sans FFP2.

Morceaux préférés : "Cancer Culture", "Last Supper", "Just A Cigarette".