L'Irlande. Terre de Folk, de Rock, de Hard Rock... Terre de Musique, terre de sport, dont les valeurs universelles se partagent en famille au pub devant le match of the day avant d'applaudir le band of the day qui, des danses celtiques traditionnelles au Metal (certes en fin de soirée), balaye un spectre assez large où les frontières inter-genre sont moins ressenties que dans notre cher hexagone. C'est culturel et institutionnel (1). Alors, PRIMORDIAL ne passe pas en prime time à la TV et Bat Kinane, le leader de GLYDER, regrettait même que son Classic Rock n'ait pas assez de airplay sur les radios locales mais cet héritage reste prégnant dans la société irlandaise et ce n'est pas un hasard si un si petit pays a fourni ou accueilli autant de musiciens de renom (2).

J'ai découvert ces sympathiques Wicklowmen lors de mes études doctorales dublinoises. D'abord en première partie du MICHAEL SCHENKER GROUP dans une petite salle accolée à un pub (2008) puis, l'année suivante, en ouverture d'un festival à la journée avec ALICE IN CHAINS et METALLICA en têtes d'affiche (MASTODON et AVENGED SEVENFOLD complétant le set). Séduit. Deux fois. Booster la carrière d'un groupe local en lui facilitant les concerts c'est aussi ça le Irish spirit. Pas de manichéisme béat de ma part cela dit, GLYDER n'existe plus aujourd'hui et excepté Bat Kinane, les autres membres du groupe n'ont pas réussi à vivre durablement de leur passion. Mais l'opportunité leur fut donnée et ils la saisirent pour une carrière, courte mais riche, de six-sept ans, qui les a vu être "marrainés" par Philomena Lynott (la mère de Phil) et plébiscités par Bruce Dickinson et Alice Cooper sur leurs shows radio respectifs.

"Yesterday, Today And Tomorrow" ("YT&T") est le troisième longue durée des Irlandais et sort en 2010. Fort de deux albums plutôt bien accueillis par la critique en Europe et au Royaume-Uni, le groupe se voit signer chez le géant Allemand SPV/Steamhammer, ce qui leur assurera une véritable sortie aux États-Unis. Mark Wilkinson (MARILLION et le "Painkiller" de JUDAS, entre autres, c'est lui) rempile et soigne une pochette qui illumine sobrement le titre de l'album. "YT&T", référence sans doute involontaire à De Sica (3), propose une réflexion sur le temps et s'affilie naturellement à Y&T d'autant que Dave Meniketti vient gratifier l'album d'un solo signature sur le title-track qui m'a rappelé "My Heart Plays Too" du premier album des Américains.
Ce n'est pas un concept album mais cette thématique temporelle lui sert de fil rouge. L'éponyme, inspiré par la perte d'un proche de Bat, est une introspection sur la valeur du temps et ce que l'on en fait. "Knockout", qui met en scène le "rumble in the jungle" de '74 entre Ali et Foreman confronte les générations et montre que la vieille gloire peut encore faire la nique à la jeunesse supposée triomphante. "Make A Change" parle des choix qui impactent le cours de notre existence. Ce thème des expériences, des choix, des événements subis ou voulus qui affectent nos vies parcourt l'album sous différentes formes ("The Bitter End", "Back To The Water", "Always The Loser").

Si le Hard Rock mélodique de GLYDER s'inscrit dans la lignée de leurs glorieux aînés Rory GALLAGHER et THIN LIZZY (il est vrai que la voix medium de Tony Cullen évoque instinctivement Phil Lynott), il serait simpl(ist)e de les réduire à leur origine géographique. Si GLYDER arbore un style classique, il s'approprie ses influences et propose un Classic Rock auquel chacun y confrontera ses propres références. Pour ma part, "Jack Strong" emprunte son côté boogie à ZZ TOP tandis que les riffs de "Make A Change" renvoient à UFO et que celui de "Always The Loser" évoquerait presque l'éponyme de BUDGIE. Citons également le U2 des débuts qui infuse sur la guitare cristalline de "Innocent Eyes". Mais in fine j'y vois surtout un héritage décliné par petites touches.

La section rythmique est solide et si l'ambiance quelque peu feutrée qui plane sur l'album ne restitue pas la fougue et l'énergie que Tony et Davy insufflent aux morceaux en live il n'en reste pas moins que leur efficacité et leur groove apportent l'assise nécessaire à la circonvolution des guitares, véritables stars de ce disque. Riffs accrocheurs ("Knockout", "Jack Strong", "Make A Change", "One Of Us"), soli toujours mélodiques ("That Line", "Yesterday, Today And Tomorrow") et/ou parfaitement à propos ("Make A Change", "Back To The Water", "One Of Us") avec une classe Bluesy du plus bel effet ("Always The Loser"). La voix de Tony est parfois décriée, on lui reproche un manque de pêche et des intonations trop Pop par endroits. C'est précisément ce que j'apprécie. Sa voix chaude, presque plus Rock que Hard Rock et ce timbre irlandais travaillé à la Guinness. En quelque sorte, une version soft de la voix rauque, façonnée à la clope et au Jack Daniels, de Lemmy. À noter les interventions discrètes mais pertinentes du clavier joué par John Mulrooney ("That Line", "Innocent Eyes").

L'album se termine par une triplette bonus aux ambitions presque progressives mais inachevées. En effet si "Time To Fly" et son orgue Hammond final, "All You've Done" et ses effets sur la voix, et "Elverstown" et sa montée en puissance presque "Call Of Ktulu"esque, comportent tous de bonnes idées, je regrette que GLYDER n'ait pas eu l'ambition de les réunir en un titre-fleuve et d'assumer ses amours progressifs (RUSH, MARILLION et DREAM THEATER) pour boucler ce disque en apothéose.
"Yesterday, Today And Tomorrow" est un très bon album de Hard Rock mélodique aux influences 70s assumées. On dit souvent que le troisième album est celui de la maturité... Possible. Ici ce n'est pas forcément le meilleur mais c'est le plus abouti.

Note réelle: 3,5/5 descendu sévèrement à 3 pour un "Bitter End" quelque peu poussif et un manque d'ambition sur le final.

Meilleurs titres : "Make A Change", "Jack Strong"
Le solo tout en feeling Bluesy : "Always The Loser"

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(1) Les musiciens y sont célébrés comme en témoignent e.g. la statue de Phil Lynott off-Grafton Street à Dublin, la guitare de Rory Gallagher sur un des murs de Temple Bar (Dublin) et sa statue dans son Donegal de naissance à Ballyshannon.

(2) VAN MORRISON, Rory GALLAGHER, Phil Lynott, Gary MOORE, THE UNDERTONES, U2, Bob GELDOF, THE POGUES, Sinéad O'CONNOR, THERAPY?, THE CRANBERRIES, etc...
Quant à RODRIGO Y GABRIELA, ils ont effectué leur mue à Dublin et ont commencé à jouer dans Grafton Street avant que leur amitié avec Damien RICE ne leur ouvre les portes du succès.

(3) "Yesterday, Today And Tomorrow" (1963) est un film à sketches truculent de Vittorio De Sica qui met en scène Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans une comédie à l'italienne qui traite des rapports hommes-femmes avec légèreté et humour sous trois angles différents et dont l'homme finit toujours en dindon de la farce. Il a obtenu l'Oscar du "Meilleur film étranger" en 1965 tout de même !